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CONQUÊTES DE PIERRE LE GRAND.


entrant dans la ville, furent étonnés de la trouver déserte. Quand Charles XII remportait la victoire de Narva, il ne s’attendait pas que ses troupes auraient un jour besoin de pareilles ruses de guerre.

En Pologne, Stanislas, voyant son parti détruit, s’était réfugié dans la Poméranie, qui restait à Charles XII, Auguste régnait, et il était difficile de décider si Charles avait eu plus de gloire à le détrôner que Pierre à le rétablir.

Les États du roi de Suède étaient encore plus malheureux que lui ; cette maladie contagieuse qui avait ravagé toute la Livonie passa en Suède, et enleva trente mille personnes dans la seule ville de Stockholm : elle y ravagea les provinces déjà trop dénuées d’habitants, car, pendant dix années de suite, la plupart étaient sortis du pays pour aller périr à la suite de leur maître.

Sa mauvaise fortune le poursuivait dans la Poméranie. Ses troupes de Pologne s’y étaient retirées au nombre de onze mille combattants ; le czar, le roi de Danemark, celui de Prusse, l’électeur de Hanovre, le duc de Holstein, s’unirent tous ensemble pour rendre cette armée inutile, et pour forcer le général Crassau, qui la commandait, à la neutralité. La régence de Stockholm, ne recevant point de nouvelles de son roi, se crut trop heureuse, au milieu de la contagion qui dévastait la ville, de signer cette neutralité, qui semblait du moins devoir écarter les horreurs de la guerre d’une de ses provinces. L’empereur d’Allemagne favorisa ce traité singulier. On stipula que l’armée suédoise qui était en Poméranie n’en pourrait sortir pour aller défendre ailleurs son monarque ; il fut même résolu, dans l’empire d’Allemagne, de lever une armée pour faire exécuter cette convention, qui n’avait point d’exemple : c’est que l’empereur, qui était alors en guerre contre la France, espérait faire entrer l’armée suédoise à son service. Toute cette négociation fut conduite pendant que Pierre s’emparait de la Livonie, de l’Estonie, et de la Carélie.

Charles XII, qui pendant tout ce temps-là faisait jouer, de Bender à la Porte-Ottomane, tous les ressorts possibles pour engager le divan à déclarer la guerre au czar, reçut cette nouvelle comme un des plus funestes coups que lui portait sa mauvaise fortune : il ne put soutenir que son sénat de Stockholm eût lié les mains à son armée : ce fut alors qu’il lui écrivit qu’il lui enverrait une de ses bottes pour le gouverner[1].

Les Danois cependant préparaient une descente en Suède.

  1. Dans l’Histoire de Charles XII (page 316 de ce volume), c’est de Démotica que le roi de Suède aurait écrit cette lettre.