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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XVII.


tous côtés, dont les unes suivaient son arrière-garde, et les autres, répandues au delà de la rivière, s’opposaient à son passage.

Il marchait, mais par des déserts, et ne trouvait que des villages ruinés et brûlés. Le froid se fit sentir dès le mois de décembre avec une rigueur si excessive que, dans une de ses marches, près de deux mille hommes tombèrent morts à ses yeux : les troupes du czar souffraient moins parce qu’elles avaient plus de secours ; celles de Charles, manquant presque de vêtements, étaient plus exposées à l’âpreté de la saison.

Dans cet état déplorable, le comte Piper, chancelier de Suède, qui ne donna jamais que de bons conseils à son maître, le conjura de rester, de passer au moins le temps le plus rigoureux de l’hiver dans une petite ville de l’Ukraine, nommée Romna, où il pourrait se fortifier, et faire quelques provisions par le secours de Mazeppa. Charles répondit qu’il n’était pas homme à s’enfermer dans une ville. Piper alors le conjura de repasser la Desna et le Borysthène, de rentrer en Pologne, d’y donner à ses troupes des quartiers dont elles avaient besoin, de s’aider de la cavalerie légère des Polonais qui lui était absolument nécessaire, de soutenir le roi qu’il avait fait nommer, et de contenir le parti d’Auguste, qui commençait à lever la tête. Charles répliqua que ce serait fuir devant le czar, que la saison deviendrait plus favorable, qu’il fallait subjuguer l’Ukraine et marcher à Moscou[1].

Les armées russes et suédoises furent quelques semaines dans l’inaction, tant le froid fut violent au mois de janvier 1709 ; mais dès que le soldat put se servir de ses armes, Charles attaqua tous les petits postes qui se trouvèrent sur son passage. Il fallait envoyer de tous côtés des partis pour chercher des vivres, c’est-à-dire pour aller ravir à vingt lieues à la ronde la subsistance des paysans. Pierre sans se hâter veillait sur ses marches, et le laissait se consumer.

Il est impossible au lecteur de suivre la marche des Suédois dans ces contrées ; plusieurs rivières qu’ils passèrent ne se trouvent point dans les cartes : il ne faut pas croire que les géographes connaissent ces pays comme nous connaissons l’Italie, la France, et l’Allemagne ; la géographie est encore de tous les arts celui qui a le plus besoin d’être perfectionné, et l’ambition a jusqu’ici pris plus de soin de dévaster la terre que de la décrire.

Contentons-nous de savoir que Charles enfin traversa toute l’Ukraine, au mois de février, brûlant partout des villages, et en

  1. Avoué par le chapelain Nordberg, tome 11, page 263. (Note de Voltaire.)