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COMMENCEMENT DES TROUBLES CIVILS.


et la paillette qui perpétuait cette vénalité[1], furent les premières sources du mal. Tous les magistrats du royaume devaient, de neuf ans en neuf ans, payer ce droit de paulette qui assurait la possession de leurs charges à leurs familles.

L’édit nouveau remettait pour les neuf années suivantes le payement de ce droit ; il en délivrait les cours supérieures, mais il leur retranchait par compensation quatre années de gages. Ces gages sont si médiocres qu’il vaudrait beaucoup mieux n’en pas recevoir. Ce retranchement déplut. La cour, pour apaiser le parlement, l’excepta des autres cours, lui conserva ses gages, et crut par cet expédient le forcer au silence : ce fut tout le contraire[2]. Comment la cour ne s’apercevait-elle pas que le parlement aurait perdu tout son crédit parmi le peuple si, se laissant amollir par cette petite grâce, il avait paru oublier l’intérêt public pour son intérêt particulier, et qu’il ne pouvait se rendre respectable que par un refus ?

Le grand conseil, la chambre des comptes, la cour des aides, s’étant assemblés d’abord par députés, demandèrent au parlement la jonction pour s’opposer aux édits. Le parlement n’hésita pas un moment. Les quatre corps, que la cour croyait incompatibles, s’unirent ensemble. Le ministère, toujours prévenu de sa toute-puissance, cassa cet arrêt d’union[3] que Mazarin, parlant mai français, appelait l’arrêt d’oignon, en devenant par là aussi ridicule aux yeux du peuple qu’il était odieux. On méprisa l’ordre de la cour ; elle défendit jusqu’aux assemblées des chambres du parlement, et ces chambres s’assemblèrent. La reine fit arrêter cinq conseillers du grand conseil, et deux de la cour des aides. Cette sévérité irrita tous les esprits, mais ne produisit encore aucun mouvement.

Tous les maîtres des requêtes, de leur côté, s’assemblèrent dans la chambre appelée les Requêtes de l’hôtel. Ils signèrent un écrit par lequel ils promettaient de ne pas souffrir la création des douze nouvelles charges ; ils cessèrent de rapporter les affaires au conseil, comme le parlement cessait de rendre justice.

La reine manda les maîtres des requêtes ; elle était quelquefois un peu aigre dans ses paroles, quoique son caractère fût doux ; elle leur dit « qu’ils étaient de plaisantes gens de vouloir borner l’autorité du roi ».

  1. Voyez page 17.
  2. Voyez, tome XIV, le chapitre IV du Siècle de Louis XIV.
  3. 13 mai 1648. (Note de Voltaire.)