changer une nation entière, qui ne prend conseil que d’elle-même, et s’il restait enfin assez de ressources à son armée dans un malheur ; et en cas que Mazeppa fût sans fidélité ou sans pouvoir, il comptait sur sa valeur et sur sa fortune. L’armée suédoise avança donc au delà du Borysthène, vers la Desna ; et c’était entre ces deux rivières que Mazeppa était attendu. La route était pénible, et des corps de Russes voltigeant dans ces quartiers rendaient la marche dangereuse.
Menzikoff, à la tête de quelques régiments de cavalerie et de dragons, attaqua[1] l’avant-garde du roi, la mit en désordre, tua beaucoup de Suédois, perdit encore plus des siens, mais ne se rebuta pas, Charles, qui accourut sur le champ de bataille, ne repoussa les Russes que difficilement, en risquant longtemps sa vie, et en combattant contre plusieurs dragons qui l’environnaient. Cependant Mazeppa ne venait point ; les vivres commençaient à manquer ; les soldats suédois, voyant leur roi partager tous leurs dangers, leurs fatigues et leur disette, ne se décourageaient pas ; mais, en l’admirant, ils le blâmaient et murmuraient.
L’ordre envoyé par le roi à Levenhaupt de marcher avec son armée, et d’amener des munitions en diligence, avait été rendu douze jours trop tard, et ce temps était long dans une telle circonstance. Levenhaupt marchait enfin : Pierre le laissa passer le Borysthène, et quand cette armée fut engagée entre ce fleuve et les petites rivières qui s’y perdent, il passa le fleuve après lui, et l’attaqua avec ses corps rassemblés qui se suivaient presque en échelons. La bataille se donna entre le Borysthène et la Sossa[2].
Le prince Menzikoff revenait avec ce même corps de cavalerie qui s’était mesuré contre Charles XII ; le général Bayer le suivait, et Pierre conduisait de son côté l’élite de son armée. Les Suédois crurent avoir à faire à quarante mille combattants ; et on le crut longtemps sur la foi de leur relation. Mes nouveaux Mémoires m’apprennent que Pierre n’avait que vingt mille hommes dans cette journée[3] ; ce nombre n’était pas fort supérieur à celui de ses ennemis. L’activité du czar, sa patience, son opiniâtreté, celle de ses troupes animées par sa présence, décidèrent du sort, non pas de cette journée, mais de trois journées consécutives, pendant lesquelles on combattit à plusieurs reprises.