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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XVI.


répand dans la ville ; chacun croit que l’armée suédoise est entrée : le peu de Russes qui veulent résister sont taillés en pièces par la garde suédoise ; tous les officiers confirment au czar qu’une armée victorieuse se rend maîtresse de tous les postes de la ville. Pierre se retire au delà des remparts, et Charles met une garde de trente hommes à la porte même par où le czar vient de sortir.

Dans cette confusion, quelques jésuites, dont on avait pris la maison pour loger le roi de Suède parce que c’était la plus belle de Grodno, se rendent la nuit auprès du czar, et lui apprennent cette fois la vérité. Aussitôt Pierre rentre dans la ville, force la garde suédoise : on combat dans les rues, dans les places ; mais déjà l’armée du roi arrivait. Le czar fut enfin obligé de céder, et de laisser la ville au pouvoir du vainqueur, qui faisait trembler la Pologne.

Charles avait augmenté ses troupes en Livonie et en Finlande, et tout était à craindre de ce côté pour les conquêtes de Pierre, comme du côté de la Lithuanie pour ses anciens États, et pour Moscou même. Il fallait donc se fortifier dans toutes ces parties si éloignées les unes des autres. Charles ne pouvait faire de progrès rapides en tirant à l’orient par la Lithuanie, au milieu d’une saison rude, dans des pays marécageux, infectés de maladies contagieuses que la pauvreté et la famine avaient répandues de Varsovie à Minski. Pierre posta ses troupes dans les quartiers sur le passage des rivières, garnit les postes importants, fit tout ce qu’il put pour arrêter à chaque pas la marche de son ennemi, et courut[1] ensuite mettre ordre à tout vers Pétersbourg.

Charles, en dominant chez les Polonais, ne leur prenait rien ; mais Pierre, en faisant usage de sa nouvelle marine, en descendant en Finlande, en prenant Borgo qu’il détruisit[2], et en faisant un grand butin sur ses ennemis, se donnait des avantages utiles.

Charles[3], longtemps retenu dans la Lithuanie par des pluies continuelles, s’avança enfin sur la petite rivière de Bérézine, à quelques lieues du Borysthène. Rien ne put résister à son activité ; il jeta un pont à la vue des Russes ; il battit le détachement qui gardait ce passage, et arriva à Hollosin, sur la rivière de Vabis. C’était là que le czar avait posté un corps considérable qui devait

  1. 8 avril. (Note de Voltaire.)
  2. 21 mai. (Id.)
  3. Il faut remarquer, dans tout ce qui va suivre, avec quel art Voltaire évite de se répéter. (G. A.)