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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XIV.


réfugié en Pologne, pendant que Charles XII donnait des lois dans Leipsick et régnait dans tout son électorat. Déjà était signé[1] par ses plénipotentiaires le fatal traité par lequel il renonçait à la couronne de Pologne, promettait de ne prendre jamais le titre de roi de ce pays, reconnaissait Stanislas, renonçait à l’alliance du czar son bienfaiteur, et, pour comble d’humiliation, s’engageait à remettre à Charles XII l’ambassadeur du czar, Jean Réginold Patkul, général des troupes russes, qui combattait pour sa défense. Il avait fait, quelque temps auparavant, arrêter Patkul contre le droit des gens, sur de faux soupçons ; et contre ce même droit des gens il le livrait à son ennemi. Il valait mieux mourir les armes à la main que de conclure un tel traité : non-seulement il perdait sa couronne et sa gloire, mais il risquait même sa liberté, puisqu’il était alors entre les mains du prince Menzikoff, en Posnanie, et que le peu de Saxons qu’il avait avec lui recevaient alors leur solde de l’argent des Russes[2].

Le prince Menzikoff avait en tête, dans ces quartiers, une armée suédoise renforcée des Polonais du parti du nouveau roi Stanislas, commandée par le général Meyerfelt[3] ; et ignorant qu’Auguste traitait avec ses ennemis, il lui proposa de les attaquer. Auguste n’osa refuser : la bataille se donna auprès de Calish[4], dans le palatinat même du roi Stanislas : ce fut la première bataille rangée que les Russes gagnèrent contre les Suédois ; le prince Menzikoff en eut la gloire : on tua aux ennemis quatre mille hommes, on leur en prit deux mille cinq cent quatrevingt-dix-huit.

Il est difficile de comprendre comment Auguste put, après cette victoire, ratifier un traité qui lui en ôtait tout le fruit ; mais Charles était en Saxe, et y était tout-puissant ; son nom imprimait tellement la terreur, on comptait si peu sur des succès soutenus de la part des Russes, le parti polonais contre le roi Auguste était si fort, et enfin Auguste était si mal conseillé, qu’il signa ce traité funeste. Il ne s’en tint pas là ; il écrivit à son envoyé Fingsten une lettre plus triste que le traité même, par laquelle il demandait pardon de sa victoire, « protestant que la bataille s’était donnée

  1. 14 septembre. (Note de Voltaire.)
  2. Voltaire traite ici Auguste comme il le mérite. Dans l’Histoire de Charles XII, il avait dû le ménager pour qu’on tolérât son livre. (G. A.)
  3. Voltaire nommait ici Maderfeld le général que, dans son Histoire de Charles XII, livre III, voyez dans ce volume, page 217, il avait appelé Meyerfeld, et dont le véritable nom est Meyerfelt. (B.)
  4. 19 octobre. (Note de Voltaire.)