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BATAILLE DE NARVA.


et on condamna Patkul à perdre l’honneur et la vie : il ne perdit ni l’un ni l’autre ; il s’évada, et resta quelque temps dans le pays de Vaud en Suisse. Lorsque depuis il apprit qu’Auguste, électeur de Saxe, avait promis, à son avènement au trône de Pologne, de recouvrer les provinces arrachées au royaume, il courut à Dresde représenter la facilité de reprendre la Livonie, et de se venger sur un roi de dix-sept ans des conquêtes de ses ancêtres.

Dans le même temps, le czar Pierre pensait à se saisir de l’Ingrie et de la Carélie. Les Russes avaient autrefois possédé ces provinces. Les Suédois s’en étaient emparés par le droit de la guerre dans le temps des faux Demetrius : ils les avaient conservées par des traités. Une nouvelle guerre et de nouveaux traités pouvaient les donner à la Russie. Patkul alla de Dresde à Moscou, et, animant deux monarques à sa propre vengeance, il cimenta leur union et hâta leurs préparatifs pour saisir tout ce qui est à l’orient et au midi de la Finlande.

Précisément dans le même temps le nouveau roi de Danemark, Frédéric IV, se liguait avec le czar et le roi de Pologne contre le jeune Charles, qui semblait devoir succomber. Patkul eut la satisfaction d’assiéger les Suédois dans Riga, capitale de la Livonie, et de presser le siége en qualité de général major.

(Septembre.) Le czar fit marcher environ soixante mille hommes vers l’Ingrie. Il est vrai que dans cette grande armée il n’y avait guère que douze mille soldats bien aguerris qu’il avait disciplinés lui-même, tels que ses deux régiments des gardes et quelques autres ; le reste était des milices mal armées : il y avait quelques Cosaques et des Tartares circassiens ; mais il traînait après lui cent quarante-cinq pièces de canon. Il mit le siége devant Narva, petite ville en Ingrie, qui a un port commode ; et il était très-vraisemblable que la place serait bientôt emportée.

Toute l’Europe sait comment Charles XII, n’ayant pas dix-huit ans accomplis, alla attaquer tous ses ennemis l’un après l’autre, descendit dans le Danemark, finit la guerre de Danemark en moins de six semaines, envoya du secours à Riga, en fit lever le siége, et marcha aux Russes devant Narva, au milieu des glaces, au mois de novembre.

Le czar, comptant sur la prise de la ville, était allé à Novogo-

    « qu’il eut l’insolence de se plaindre des vexations, et qu’on le condamna à perdre l’honneur et la vie ». C’est parler en prêtre du despotisme. Il eût dû savoir qu’on ne peut ôter l’honneur à un citoyen qui fait son devoir. (Note de Voltaire.) — La remarque de Voltaire ne prouve pas que la condamnation n’ait pas été conçue en ces termes.