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MINISTÈRE DE MAZARIN.


elles allèrent porter en foule leurs plaintes à la grand’chambre, non sans y être excitées par plusieurs membres des enquêtes, qui demandèrent l’assemblée des chambres pour juger la cause des pauvres contre le ministère. Cette maladresse du gouvernement indisposa tout Paris : elle apprit au peuple à murmurer, à s’attrouper. Une partie de la grand’chambre dans les intérêts de la cour ne voulut pas souffrir que les enquêtes demandassent les assemblées du parlement.

Les enquêtes persistèrent. Heureusement pour la cour la division se mit alors entre toutes les chambres du parlement[1], requêtes contre enquêtes, enquêtes contre grand’chambre. Les requêtes voulaient être traitées comme les enquêtes, les enquêtes comme les grands chambriers. Il y eut des disputes pour les rangs. Le conseiller doyen du parlement était dans l’usage de précéder les présidents qui ne sont pas présidents à mortier. Il arriva qu’à l’oraison funèbre du maréchal de Guébriant, prononcée à Notre-Dame, les présidents des enquêtes prirent par le bras le vieux doyen Savare, et l’arrachèrent de sa place. Le premier président appela les gardes du roi qui assistaient à la cérémonie, pour soutenir le doyen. L’église cathédrale vit pour la seconde fois des magistrats scandaliser le peuple pour un intérêt de vanité.

La reine s’entremit ; le parlement s’en remit à ses ordres pour juger tous ces différends : elle se garda bien de prononcer ; la maxime divisez pour régner était trop connue de Mazarin. Il crut rendre le parlement méprisable en l’abandonnant à ces contestations ; mais il porta le mépris trop loin en faisant saisir le président des enquêtes Barillon par quatre archers, et l’envoyant à Pignerol. Ce Barillon était accoutumé à la prison ; il avait déjà été enfermé sous Richelieu. On en exila d’autres. Le ministre se croyait assez puissant pour imiter le cardinal de Richelieu, quoiqu’il n’en eût ni la cruauté, ni l’orgueil, ni le génie.

Le parlement avait encore aliéné de lui les princes du sang et les pairs : les princes du sang, parce qu’il avait osé disputer le pas au père du grand Condé dans la cérémonie d’un Te Deum ; les pairs, parce qu’il ne voulait pas souffrir que dans les lits de justice le chancelier, allant aux opinions, s’adressât aux pairs du royaume avant de s’adresser au parlement. Tout cela rendait ce corps peu agréable à la cour. On s’était servi de lui pour donner la régence, comme d’un instrument qu’on brisait ensuite quand on cessait d’en avoir besoin.

  1. Talon, tome III. (Note de Voltaire.)