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VOYAGES DE PIERRE LE GRAND.


de la princesse Sophie, et plus encore le respect général pour sa personne, devaient lui répondre de la tranquillité de ses États pendant son absence. Il confia la régence au boiard Strecknef et au knès Romadonoski, lesquels devaient, dans les affaires importantes, délibérer avec d’autres boïards.

Les troupes formées par le général Gordon restèrent à Moscou pour assurer la tranquillité de la capitale. Les strélitz, qui pouvaient la troubler, furent distribués sur les frontières de la Crimée, pour conserver la conquête d’Azof et pour réprimer les incursions des Tartares. Ayant ainsi pourvu à tout, il se livrait à son ardeur de voyager et de s’instruire[1].

Ce voyage ayant été l’occasion ou le prétexte de la sanglante guerre qui traversa si longtemps le czar dans tous ses grands, projets, et enfin les seconda ; qui détrôna le roi de Pologne Auguste, donna la couronne à Stanislas, et la lui ôta ; qui fit du roi de Suède Charles XII le premier des conquérants pendant neuf années, et le plus malheureux des rois pendant neuf autres ; il est nécessaire, pour entrer dans le détail de ces événements, de représenter ici en quelle situation était alors l’Europe.

Le sultan Mustapha II régnait en Turquie. Sa faible administration ne faisait de grands efforts, ni contre l’empereur d’Allemagne Léopold, dont les armes étaient heureuses en Hongrie, ni contre le czar, qui venait de lui enlever Azof et qui menaçait le Pont-Euxin, ni même contre Venise, qui enfin s’était emparée de tout le Péloponèse.

Jean Sobieski, roi de Pologne, à jamais célèbre par la victoire de Choczim et par la délivrance de Vienne, était mort le 17 juin 1696 ; et cette couronne était disputée par Auguste, électeur de Saxe, qui l’emporta, et par Armand, prince de Conti, qui n’eut que l’honneur d’être élu.

La Suède venait de perdre[2] et regrettait peu Charles XI, premier souverain véritablement absolu dans ce pays, père d’un roi qui le fut davantage, et avec lequel s’est éteint le despotisme. Il laissait sur le trône Charles XII, son fils, âgé de quinze ans. C’était une conjoncture favorable en apparence aux projets du czar ; il pouvait s’agrandir sur le golfe de Finlande et vers la Livonie. Ce n’était pas assez d’inquiéter les Turcs sur la mer Noire ; des éta-

  1. Voltaire oublie de parler d’une tentative de soulèvement avant le départ de Pierre. On coupa les pieds, les mains, la tête, aux conspirateurs. (G. A.)
  2. Avril 1697. (Note de Voltaire.)