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PRISE D’AZOF.


Un nommé Jacob, natif de Dantzick, dirigeait l’artillerie sous le commandement du général Shein : car on n’avait guère que des étrangers pour principaux artilleurs, pour ingénieurs, comme pour pilotes. Ce Jacob fut condamné au châtiment des batoques, par son général Shein, Prussien. Le commandement semblait alors affermi par ces rigueurs. Les Russes s’y soumettaient, malgré leur penchant pour les séditions, et après ces châtiments ils servaient comme à l’ordinaire. Le Dantzickois pensait autrement ; il voulut se venger : il encloua le canon, se jeta dans Azof, embrassa la religion musulmane, et défendit la place avec succès. Cet exemple fait voir que l’humanité qu’on exerce aujourd’hui en Russie est préférable aux anciennes cruautés, et retient mieux dans le devoir les hommes qui, avec une éducation heureuse, ont pris des sentiments d’honneur. L’extrême rigueur était alors nécessaire envers le bas peuple ; mais quand les mœurs ont changé, l’impératrice Élisabeth a achevé par la clémence l’ouvrage que son père commença par les lois. Cette indulgence a été même poussée à un point dont il n’y a point d’exemple dans l’histoire d’aucun peuple. Elle a promis que pendant son règne personne ne serait puni de mort, et a tenu sa promesse. Elle est la première souveraine qui ait ainsi respecté la vie des hommes. Les malfaiteurs ont été condamnés aux mines, aux travaux publics ; leurs châtiments sont devenus utiles à l’État : institution non moins sage qu’humaine. Partout ailleurs on ne sait que tuer un criminel avec appareil, sans avoir jamais empêché les crimes. La terreur de la mort fait moins d’impression peut-être sur des méchants, pour la plupart fainéants, que la crainte d’un châtiment et d’un travail pénible qui renaissent tous les jours.

Pour revenir au siége d’Azof, soutenu désormais par le même homme qui avait dirigé les attaques, on tenta vainement un assaut, et après avoir perdu beaucoup de monde on fut obligé de lever le siége.

La constance dans toute entreprise formait le caractère de Pierre. Il conduisit une armée plus considérable encore devant Azof au printemps de 1696. Le czar Ivan son frère venait de mourir. Quoique son autorité n’eût pas été gênée par Ivan, qui n’avait que le nom de czar, elle l’avait toujours été un peu par les bienséances. Les dépenses de la maison d’Ivan retournaient par sa mort à l’entretien de l’armée : c’était un secours pour un État qui n’avait pas alors d’aussi grands revenus qu’aujourd’hui. Pierre écrivit à l’empereur Léopold, aux États-Généraux, à l’électeur de Brandebourg, pour en obtenir des ingénieurs, des artilleurs, des