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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV.


Ce ministre contint la milice des strélitz en distribuant les plus mutins dans des régiments en Ukraine, à Casan, en Sibérie. C’est sous son administration que la Pologne, longtemps rivale de la Russie, céda, en 1686, toutes ses prétentions sur les grandes provinces de Smolensko et de l’Ukraine. C’est lui qui, le premier, fit envoyer, en 1687, une ambassade en France, pays qui était depuis vingt ans dans toute sa gloire, par les conquêtes et les nouveaux établissements de Louis XIV, par sa magnificence, et surtout par la perfection des arts, sans lesquels on n’a que de la grandeur, et point de gloire véritable. La France n’avait eu encore aucune correspondance avec la Russie, on ne la connaissait pas ; et l’Académie des inscriptions célébra par une médaille cette ambassade, comme si elle fût venue des Indes ; mais, malgré la médaille, l’ambassadeur Dolgorouki échoua ; il essuya même de violents dégoûts par la conduite de ses domestiques. On eût mieux fait de tolérer leurs fautes ; mais la cour de Louis XIV ne pouvait prévoir alors que la Russie et la France compteraient un jour parmi leurs avantages celui d’être étroitement alliées.

L’État était alors tranquille au dedans, toujours resserré du côté de la Suède, mais étendu du côté de la Pologne, sa nouvelle alliée, continuellement en alarmes vers la Tartarie-Crimée, et en mésintelligence avec la Chine pour les frontières.

Ce qui était le plus intolérable pour cet empire, et ce qui marquait bien qu’il n’était point parvenu encore à une administration vigoureuse et régulière, c’est que le kan des Tartares de Crimée exigeait un tribut annuel de soixante mille roubles, comme la Turquie en avait imposé un à la Pologne.

La Tartarie-Crimée est cette même Chersonèse taurique, célèbre autrefois par le commerce des Grecs, et plus encore par leurs fables ; contrée fertile et toujours barbare, nommée Crimée, du titre des premiers kans, qui s’appelaient crim avant les conquêtes des enfants de Gengis. C’est pour s’affranchir et se venger de la honte d’un tel tribut que le premier ministre Gallitzin alla lui-même en Crimée à la tête d’une armée nombreuse[1]. Ces armées ne ressemblaient en rien à celles que le gouvernement entretient aujourd’hui ; point de discipline, pas même de régiment bien armé, point d’habits uniformes, rien de régulier ; une milice à la vérité endurcie au travail et à la disette, mais une profusion de

    attribue en effet à Adrien Baillet la Relation curieuse et nouvelle de Moscovie, 1698, in-12. Mais cet ouvrage est réellement de Foy de La Neuville. (B.)

  1. 1687, 1688. (Note de Voltaire.)