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CHAPITRE LIII.


avait parlé de lui dans la séance. Le roi manda au Louvre les présidents et les doyens de chaque chambre ; il leur renouvela les défenses de se mêler d’aucune affaire d’État. Enfin le ministre et les généraux ayant réparé leurs fautes, et les ennemis ayant été chassés du royaume, le parlement obéit.

On ne put terminer cette campagne qu’avec des frais immenses. Les finances sont le premier ressort de l’administration, et ce ressort est toujours dérangé. Richelieu n’était pas un Sully qui eût su s’assurer de quarante millions, et préparer les vivres, les munitions, les hôpitaux, avant de faire la guerre. Ni sa santé, ni son génie, ni son ambition, ne lui permettaient d’entrer dans ces détails indispensables, dont la négligence doit diminuer beaucoup sa gloire. Il fut obligé de retrancher trois quartiers d’arrérages que le roi devait aux rentiers de l’Hôtel de Ville. Cette banqueroute était odieuse ; il eût mieux valu sans doute établir des impôts également répartis ; mais c’est ce qu’on n’a su faire en France qu’après une longue épreuve de moyens aussi honteux que ruineux. Le gouvernement, depuis Sully, ne savait que créer des charges inutiles, que la vanité achetait à prix d’argent, et se remettre à la discrétion des traitants.

Richelieu avait créé vingt nouveaux offices de conseillers au parlement en 1635. La compagnie en avait été indignée ; la banqueroute faite aux rentiers excita les cris de tout Paris. Ces citoyens, privés de leur revenu, vinrent se plaindre chez le chancelier Châteauneuf. Pour réponse on en mit trois à la Bastille. Le parlement s’assemble, on délibère, on parle fortement. Le cardinal avait ses espions ; il fait enlever Gayant, Champrond, Sallo, Sevin, Tubeuf, Bouville, Scarron[1]. Un édit du roi interdit la troisième chambre des enquêtes. Les magistrats arrêtés furent ou exilés ou enfermés, et les rentiers perdirent leurs arrérages.

Il est évident que le gouvernement du cardinal de Richelieu était à la fois vicieux et tyrannique ; mais il est vrai aussi qu’il eut toujours à combattre des factions. La fierté sanguinaire du ministre, et le mécontentement de tous les ordres du royaume, furent les semences qui produisirent depuis les guerres de la Fronde. Le parlement, ayant perdu sous Richelieu toutes les prérogatives qu’il réclamait, ne combattit dans les dernières années de Louis XIII que contre la chambre des comptes.

Ce monarque ayant ôté la protection de la France à sainte

  1. Ce dernier est probablement le même dont il a été question chapitre XLV, page 10.