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RELIGION.


soberge, envoya un évêque baptiser Vladimir, pour ajouter à son patriarcat cette partie du monde[1].

Vladimir acheva donc l’ouvrage commencé par son aïeule. Un Grec fut le premier métropolitain de Russie ou patriarche. C’est de là que les Russes ont adopté dans leur langue un alphabet tiré en partie du grec ; ils y auraient gagné, si le fond de leur langue, qui est la slavone, n’était toujours demeuré le même, à quelques mots près qui concernent leur liturgie et leur hiérarchie[2]. Un des patriarches grecs, nommé Jérémie, ayant un procès au divan, et étant venu à Moscou demander des secours, renonça enfin à sa prétention sur les Églises russes, et sacra patriarche l’archevêque de Novogorod, nommé Job, en 1588.

Depuis ce temps l’Église russe fut aussi indépendante que son empire. Il était en effet dangereux, honteux, et ridicule, que l’Église russe dépendît d’une Église grecque esclave des Turcs. Le patriarche de Russie fut dès lors sacré par les évêques russes, non par le patriarche de Constantinople. Il eut rang dans l’Église grecque après celui de Jérusalem ; mais il fut en effet le seul patriarche libre et puissant, et par conséquent le seul réel. Ceux de Jérusalem, de Constantinople, d’Antioche, d’Alexandrie, ne sont que les chefs mercenaires et avilis d’une Église esclave des Turcs. Ceux même d’Antioche et de Jérusalem ne sont plus regardés comme patriarches, et n’ont pas plus de crédit que les rabbins des synagogues établies en Turquie.

C’est d’un homme devenu patriarche de toutes les Russies que descendait Pierre le Grand en droite ligne[3]. Bientôt ces premiers prélats voulurent partager l’autorité des czars. C’était peu que le souverain marchât nu-tête une fois l’an devant le patriarche, en conduisant son cheval par la bride. Ces respects extérieurs ne servent qu’à irriter la soif de la domination. Cette fureur de dominer causa de grands troubles comme ailleurs.

  1. Tiré d’un manuscrit particulier, intitulé Du Gouvernement ecclésiastique de Russie. (Note de Voltaire.)
  2. Dans la première édition, au lieu de la dernière phrase de cet alinéa, on lisait : « Le patriarche Photius, si célèbre par son érudition immense, par ses querelles avec l’Église romaine et par ses malheurs, envoya baptiser Volodimer, pour ajouter à son patriarcat cette partie du monde. » Cette faute de faire Photius contemporain de la princesse Olha fut indiquée par un Russe à Voltaire, qui dit d’abord qu’au lieu de Photius, il fallait lire Polyeucte (voyez sa lettre à Schouvaloff, du 11 juin 1761), et changea ce passage dès 1768 ; au lieu de Vladimir, Voltaire écrivait Volodimer. (B.)
  3. « C’est juste, remarqua le Russe Lomonossoff, à qui l’on soumettait le manuscrit de Voltaire avant l’impression ; mais Pierre le Grand ne fut pas czar par la raison que son grand-père avait été patriarche. »