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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I.


sait de ces anciens Slaves, c’est qu’ils étaient des conquérants. Ils bâtirent la ville de Novogorod la grande, située sur une rivière navigable dès sa source, laquelle jouit longtemps d’un florissant commerce, et fut une puissante alliée des villes anséatiques. Le czar Ivan Basilovitz[1] la conquit en 1467, et en emporta toutes les richesses, qui contribuèrent à la magnificence de la cour de Moscou, presque inconnue jusqu’alors.

Au midi de la province de Smolensko, vous trouvez la province de Kiovie, qui est la petite Russie, avec une partie de la Russie rouge, ou l’Ukraine, traversée par le Dnieper, que les Grecs ont appelé Borysthène. La différence de ces deux noms, l’un dur à prononcer, l’autre mélodieux, sert à faire voir, avec cent autres preuves, la rudesse de tous les anciens peuples du Nord, et les grâces de la langue grecque. La capitale Kiou, autrefois Kisovie, fut bâtie par les empereurs de Constantinople, qui en firent une colonie : on y voit encore des inscriptions grecques de douze cents années ; c’est la seule ville qui ait quelque antiquité dans ces pays où les hommes ont vécu tant de siècles sans bâtir des murailles. Ce fut là que les grands-ducs de Russie firent leur résidence dans le xie siècle, avant que les Tartares asservissent la Russie.

Les Ukraniens, qu’on nomme Cosaques, sont un ramas d’anciens Roxelans, de Sarmates. de Tartares réunis. Cette contrée faisait partie de l’ancienne Scythie. Il s’en faut beaucoup que Rome et Constantinople, qui ont dominé sur tant de nations, soient des pays comparables pour la fertilité à celui de l’Ukraine. La nature s’efforce d’y faire du bien aux hommes ; mais les hommes n’y ont pas secondé la nature : vivant des fruits que produit une terre aussi inculte que féconde, et vivant encore plus de rapines ; amoureux à l’excès d’un bien préférable à tout, la liberté, et cependant ayant servi tour à tour la Pologne et la Turquie. Enfin, ils se donnèrent à la Russie, en 1654, sans trop se soumettre ; et Pierre les a soumis.

Les autres nations sont distinguées par leurs villes et leurs bourgades. Celle-ci est partagée en dix régiments. À la tête de ces dix régiments était un chef élu à la pluralité des voix, nommé hetman ou itman. Ce capitaine de la nation n’avait pas le pouvoir suprême. C’est aujourd’hui un seigneur de la cour que les souverains de Russie leur donnent pour hetman ; c’est un véritable gouverneur de province, semblable à nos gouverneurs de ces pays d’états qui ont encore quelques priviléges.

  1. En russe, Iwan Wassiliewitsch. (Note de Voltaire.)