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PRÉFACE HISTORIQUE ET CRITIQUE.


ranoy, est une de ces fraudes typographiques trop communes[1]. Tels sont les Mémoires d’Espagne, sous le nom de don Juan de Colmenar ; l’Histoire de Louis XIV, composée par le jésuite La Motte sur de prétendus mémoires d’un ministre d’État, et attribuée à La Martinière ; telles sont l’histoire de l’empereur Charles VI, et celle du prince Eugène, et tant d’autres.

C’est ainsi qu’on a fait servir le bel art de l’imprimerie au plus méprisable des commerces. Un libraire de Hollande commande un livre comme un manufacturier fait fabriquer des étoffes : et il se trouve malheureusement des écrivains que la nécessité force de vendre leur peine à ces marchands, comme des ouvriers à leurs gages : de là tous ces insipides panégyriques et ces libelles diffamatoires dont le public est surchargé ; c’est un des vices les plus honteux de notre siècle.

Jamais l’histoire n’eut plus besoin de preuves authentiques que dans nos jours, où l’on trafique si insolemment du mensonge. L’auteur qui donne au public l’Histoire de l’empire de Russie sous Pierre le Grand est le même qui écrivit, il y a trente ans, l’Histoire de Charles XII sur les Mémoires de plusieurs personnes publiques qui avaient longtemps vécu auprès de ce monarque. La présente histoire est une confirmation et un supplément de la première.

On se croit obligé ici, par respect pour le public et pour la vérité, de mettre au jour un témoignage irrécusable, qui apprendra quelle foi on doit ajouter à l’Histoire de Charles XII.

Il n’y a pas longtemps que le roi de Pologne, duc de Lorraine, se faisait relire cet ouvrage à Commercy ; il fut si frappé de la vérité de tant de faits dont il avait été le témoin, et si indigné de la hardiesse avec laquelle on les a combattus dans quelques libelles et dans quelques journaux, qu’il voulut fortifier par le sceau de son témoignage la créance que mérite l’historien, et que, ne pouvant écrire lui-même, il ordonna à un de ses grands officiers d’en dresser un acte authentique[2].

Cet acte envoyé à l’auteur lui causa une surprise d’autant plus agréable qu’il venait d’un roi aussi instruit de tous ces événements que Charles XII lui-même, et qui d’ailleurs est connu dans l’Europe par son amour pour le vrai, autant que par sa bienfaisance.

  1. Les Mémoires du règne de Pierre Ier, 5 vol., 1728, sont de Rousset de Missy, protestant réfugié en Hollande. (G. A.)
  2. Dans l’édition originale, ou de 1759, il y avait : « Ordonna à un de ses grands officiers de dresser l’acte suivant. » Puis était rapportée la lettre du comte de Tressan, qu’on a lue à la page 142 du présent volume, et qu’il était inutile de répéter ici. Cette disposition et le texte actuel sont de 1768, dans l’édition in-4°. (B.)