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AVERTISSEMENT

POUR LA PRÉSENTE ÉDITION.

Toute l’histoire de la composition de cet ouvrage, qui coûta à Voltaire beaucoup de peine, est dans la correspondance. Voyez notamment celle qu’il entretint avec le comte Schouvaloff, d’octobre 1760 à mai 1761. Ainsi que le dit M. Gustave Desnoireterres, Voltaire avait pris à cœur son sujet. « Après avoir fait l’histoire d’un héros de roman, il trouvait plus intéressant et plus digne d’un philosophe d’écrire les belles actions et les durables créations d’un véritable grand homme. » Et, à ce propos, l’auteur de Voltaire et la Société au XVIIIe siècle cite, pour en expliquer le vrai sens, une anecdote de Chamfort. Le docteur Poissonnier, à son retour de Russie, étant allé rendre visite au patriarche de Ferney, ne craignit pas d’aborder le chapitre délicat des erreurs que l’on rencontrait dans son livre. Au lieu de s’amuser à discuter, Voltaire se serait borné à répondre : « Mon ami, ils m’ont donné de bonnes pelisses, et je suis très-frileux. »

Faut-il conclure de là que l’écrivain n’attachait aucune importance sérieuse à son travail ? — Non sans doute. Qui ne sentira que cette saillie avait pour but unique d’indiquer à l’interlocuteur, plaisamment, poliment, mais clairement, qu’on n’était pas pour l’instant d’humeur à engager un long débat sur un pareil sujet ?

En réalité, continue M. Desnoireterres, Voltaire a prétendu faire œuvre d’historien. « On a un peu de peine avec les Russes, écrit-il à Mme du Deffant, et vous savez que je ne sacrifie la vérité à personne. » Cela est plus aisé à dire qu’à exécuter sans doute. C’est de la main des Russes qu’il recevra ses matériaux, et les coudées ne sont plus aussi franches lorsqu’on attend les preuves de ceux dont on s’est constitué le juge. Convenons aussi qu’il n’est ni de bronze ni de marbre ; qu’il désirait, s’il était possible, satisfaire l’impératrice. « Je voudrais savoir surtout, écrit-il à Schouvaloff (15 nov. 1760), si la digne fille de Pierre le Grand est contente de la statue de son père, taillée aux Délices par un ciseau que vous avez conduit. » Pareille question dans une autre lettre au même, à la date du 10 janvier 1761. Puis il aimait à se dire à lui-même et à dire à ses amis : « J’ai du moins une souveraine de deux mille lieues de pays dans mon parti : cela console des cris des polissons[1]. » Mais s’il est plus préoccupé de mettre en relief les

  1. Lettre à Mme de Florian, 1er février 1761.