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LIVRE HUITIÈME.
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champ en Norvége, au cœur de l’hiver, sur de la paille ou sur une planche, enveloppé seulement d’un manteau, sans que sa santé en fût altérée. Plusieurs de ses soldats tombaient morts de froid dans leurs postes ; et les autres, presque gelés, voyant leur roi qui souffrait comme eux, n’osaient proférer une plainte. Ce fut quelque temps avant cette expédition qu’ayant entendu parler en Scanie d’une femme nommée Johns Dotter, qui avait vécu plusieurs mois sans prendre d’autre nourriture que de l’eau, lui qui s’était étudié toute sa vie à supporter les plus extrêmes rigueurs que la nature humaine peut soutenir, voulut essayer encore combien de temps il pourrait supporter la faim sans en être abattu. Il passa cinq jours entiers sans manger ni boire ; le sixième, au matin, il courut deux heures à cheval, et descendit chez le prince de Hesse, son beau-frère, où il mangea beaucoup, sans que ni une abstinence de cinq jours l’eût abattu, ni qu’un grand repas[1], à la suite d’un si long jeûne, l’incommodât[2].

Avec ce corps de fer, gouverné par une âme si hardie et si inébranlable, dans quelque état qu’il pût être réduit, il n’avait point de voisin auquel il ne fût redoutable.

Le 11 décembre, jour de Saint-André, il alla sur les neuf heures du soir visiter la tranchée, et, ne trouvant pas la parallèle assez avancée à son gré, il parut très-mécontent. M. Mégret, ingénieur français, qui conduisait le siége, l’assura que la place serait prise dans huit jours. « Nous verrons », dit le roi ; et il continua de visiter les ouvrages avec l’ingénieur. Il s’arrêta dans un endroit où le boyau faisait un angle avec la parallèle ; il se mit à genoux sur le talus intérieur, et, appuyant ses coudes sur le parapet, resta quelque temps à considérer les travailleurs, qui continuaient les tranchées à la lueur des étoiles.

Les moindres circonstances deviennent essentielles quand il s’agit de la mort d’un homme tel que Charles XII ; ainsi je dois avertir que toute la conversation que tant d’écrivains ont rapportée entre le roi et l’ingénieur Mégret est absolument fausse. Voici ce que je sais de véritable sur cet événement[3].

Le roi était exposé presque à demi corps à une batterie de canon pointée vis-à-vis l’angle où il était : il n’y avait alors auprès

  1. Il avala un gigot et un dindon. (G. A.)
  2. Nordberg prétend que ce fut pour se guérir d’un mal de poitrine que Charles XII essaya cette étrange abstinence : le confesseur Nordberg est assurément un mauvais médecin. (Note de Voltaire.)
  3. Quoi que dise Voltaire par avance, le récit qu’il va faire n’est pas véridique. (G. A.)