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HISTOIRE DE CHARLES XII.


assez communes. Quelques-uns de ceux qu’en Italie on appelle braves avaient fait des coups pareils dans le Milanais durant la dernière guerre entre l’Allemagne et la France. Depuis même, plusieurs Français réfugiés en Hollande avaient osé pénétrer jusqu’à Versailles, dans le dessein d’enlever le dauphin, et s’étaient saisis de la personne du premier écuyer, presque sous les fenêtres du château de Louis XIV.

L’aventurier disposa donc ses hommes et ses relais pour surprendre et pour enlever Stanislas. L’entreprise fut découverte la veille de l’exécution. Plusieurs se sauvèrent ; quelques-uns furent pris. Ils ne devaient point s’attendre à être traités comme des prisonniers de guerre, mais comme des bandits. Stanislas, au lieu de les punir, se contenta de leur faire quelques reproches pleins de honte ; il leur donna même de l’argent pour se conduire, et montra par cette honte généreuse qu’en effet Auguste, son rival, avait raison de le craindre[1].

Cependant Charles partit une seconde fois pour la conquête de la Norvége, au mois d’octobre 1718. Il avait si bien pris toutes ses mesures qu’il espérait se rendre maître en six mois de ce royaume. Il aima mieux aller conquérir des rochers au milieu des neiges et des glaces, dans l’âpreté de l’hiver, qui tue les animaux en Suède même où l’air est moins rigoureux, que d’aller reprendre ses belles provinces d’Allemagne des mains de ses ennemis : c’est qu’il espérait que sa nouvelle alliance avec le czar le mettrait bientôt en état de ressaisir toutes ces provinces ; bien plus, sa gloire était flattée d’enlever un royaume à son ennemi victorieux.

À l’embouchure du fleuve Tistedal, près de la manche de Danemark, entre les villes de Bahus et d’Anslo, est située Frédrickhall, place forte et importante, qu’on regardait comme la clef du royaume. Charles en forma le siége au mois de décembre. Le soldat, transi de froid, pouvait à peine remuer la terre endurcie sous la glace : c’était ouvrir la tranchée dans une espèce de roc ; mais les Suédois ne pouvaient se rebuter en voyant à leur tête un roi qui partageait leurs fatigues. Jamais Charles n’en essuya de plus grandes. Sa constitution, éprouvée par dix-huit ans de travaux pénibles, s’était fortifiée au point qu’il dormait en plein

  1. Voilà ce que Nordberg appelle manquer de respect aux têtes couronnées, comme si ce récit véritable contenait une injure, et comme si on devait aux rois qui sont morts autre chose que la vérité. Pense-t-il que l’histoire doive ressembler aux sermons prêches devant les rois, dans lesquels on leur fait des compliments ? (Note de Voltaire.)