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HISTOIRE DE CHARLES XII.


gan, autre Anglais, homme habile et entreprenant. Il demanda la princesse Anne Petrowna, fille du czar, en mariage pour le fils de Jacques II[1], espérant que cette alliance attacherait plus étroitement le czar aux intérêts de ce prince malheureux. Mais cette proposition faillit à reculer les affaires pour un temps, au lieu de les avancer. Le baron de Görtz avait, dans ses projets, destiné depuis longtemps cette princesse au duc de Holstein, qui en effet l’a épousée depuis. Dès qu’il sut cette proposition du duc d’Ormond, il en fut jaloux, et s’appliqua à la traverser. Il sortit de prison au mois d’août, aussi bien que le comte de Gyllenborg, sans que le roi de Suède eût daigné faire la moindre excuse au roi d’Angleterre, ni montrer le plus léger mécontentement de la conduite de son ministre.

En même temps on élargit à Stockholm le résident anglais et toute sa famille, qui avaient été traités avec beaucoup plus de sévérité que Gyllenborg ne l’avait été à Londres.

Görtz, en liberté, fut un ennemi déchaîné, qui, outre les puissants motifs qui l’agitaient, eut encore celui de la vengeance. Il se rendit en poste auprès du czar, et ses insinuations prévalurent plus que jamais auprès de ce prince. D’abord il l’assura qu’en moins de trois mois il lèverait, avec un seul plénipotentiaire de Moscovie, tous les obstacles qui retardaient la conclusion de la paix avec la Suède : il prit entre ses mains une carte géographique que le czar avait dessinée lui-même, et, tirant une ligne depuis Vibourg jusqu’à la mer Glaciale, en passant par le lac Ladoga, il se fit fort de porter son maître à céder ce qui était à l’orient de cette ligne, aussi bien que la Carélie, l’Ingrie et la Livonie ; ensuite il jeta des propositions de mariage entre la fille de Sa Majesté czarienne et le duc de Holstein, le flattant que ce duc lui pourrait céder ses États moyennant un équivalent ; que par là il serait membre de l’empire, lui montrant de loin la couronne impériale, soit pour quelqu’un de ses descendants, soit pour lui-même. Il flattait ainsi les vues ambitieuses du monarque moscovite, ôtait au prétendant la princesse czarienne, en même temps qu’il lui ouvrait le chemin de l’Angleterre ; et il remplissait toutes ses vues à la fois.

  1. Le cardinal Albéroni lui-même a certifié la vérité de tous ces récits dans une lettre de remerciement à l’auteur. Au reste, M. Nordberg, aussi mal instruit des affaires de l’Europe que mauvais écrivain, prétend que le duc d’Ormond ne quitta pas l’Angleterre à l’avénement du roi George Ier, mais immédiatement après la mort de la reine Anne ; comme si George Ier n’avait pas été le successeur immédiat de cette reine. (Note de Voltaire.)