Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
340
HISTOIRE DE CHARLES XII.


et de la disposition des mécontents d’Angleterre, de l’argent qu’ils pouvaient fournir, et des troupes qu’ils pouvaient mettre sur pied. Les mécontents ne demandaient qu’un secours de dix mille hommes, et faisaient envisager une révolution sûre avec l’aide de ces troupes.

Le comte de Gyllenborg, ambassadeur de Suède en Angleterre, instruit par le baron de Görtz, eut plusieurs conférences à Londres avec les principaux mécontents : il les encouragea, et leur promit tout ce qu’ils voulurent ; le parti du prétendant alla jusqu’à fournir des sommes considérables que Görtz toucha en Hollande. Il négocia l’achat de quelques vaisseaux, et en acheta six en Bretagne avec des armes de toute espèce.

Il envoya alors secrètement en France plusieurs officiers, entre autres le chevalier de Folard[1], qui, ayant fait trente campagnes dans les armées françaises, et y ayant fait peu de fortune, avait été depuis peu offrir ses services au roi de Suède, moins par des vues intéressées que par le désir de servir sous un roi qui avait une réputation si étonnante. Le chevalier de Folard espérait d’ailleurs faire goûter à ce prince les nouvelles idées qu’il avait sur la guerre ; il avait étudié toute sa vie cet art en philosophe, et il a depuis communiqué ses découvertes au public dans ses Commentaires sur Polybe. Ses vues furent goûtées de Charles XII, qui lui-même avait fait la guerre d’une manière nouvelle, et qui ne se laissait conduire en rien par la coutume ; il destina le chevalier de Folard à être un des instruments dont il voulait se servir dans la descente projetée en Écosse. Ce gentilhomme exécuta en France les ordres secrets du baron de Görtz. Beaucoup d’officiers français, un plus grand nombre d’Irlandais, entrèrent dans cette conjuration d’une espèce nouvelle, qui se tramait en même temps en Angleterre, en France, en Moscovie, et dont les branches s’étendaient secrètement d’un bout de l’Europe à l’autre.

Ces préparatifs étaient encore peu de chose pour le baron de Görtz ; mais c’était beaucoup d’avoir commencé. Le point le plus important, et sans lequel rien ne pouvait réussir, était d’achever la paix entre le czar et Charles ; il restait beaucoup de difficultés à aplanir. Le baron Osterman, ministre d’État en Moscovie, ne s’était point laissé entraîner d’abord aux vues de Görtz ; il était aussi circonspect que le ministre de Charles était entreprenant. Sa politique lente et mesurée voulait laisser tout mûrir ; le génie impatient de l’autre prétendait recueillir immédiatement après

  1. Né à Avignon en 1669, mort en 1752.