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LIVRE HUITIÈME.


Ce qui l’avait arrêté encore était le besoin d’argent. Le czar était un des plus puissants monarques du monde, mais un des moins riches : ses revenus ne montaient pas alors à plus de vingt-quatre millions de nos livres. Il avait découvert des mines d’or, d’argent, de fer, de cuivre ; mais le profit en était encore incertain, et le travail ruineux. Il établissait un grand commerce, mais les commencements ne lui apportaient que des espérances ; ses provinces nouvellement conquises augmentaient sa puissance et sa gloire, sans accroître encore ses revenus. Il fallait du temps pour fermer les plaies de la Livonie, pays abondant, mais désolé par quinze ans de guerre, par le fer, par le feu et par la contagion, vide d’habitants, et qui était alors à charge à son vainqueur. Les flottes qu’il entretenait, les nouvelles entreprises qu’il faisait tous les jours, épuisaient ses finances. Il avait été réduit à la mauvaise ressource de hausser les monnaies, remède qui ne guérit jamais les maux d’un État, et qui est surtout préjudiciable à un pays qui reçoit des étrangers plus de marchandises qu’il ne leur en fournit.

Voilà en partie les fondements sur lesquels Görtz bâtit le dessein d’une révolution. Il osa proposer au roi de Suède d’acheter la paix de l’empereur moscovite à quelque prix que ce pût être, lui faisant envisager le czar irrité contre les rois de Pologne et d’Angleterre, et lui donnant à entendre que Pierre Alexiowitz et Charles XII réunis pourraient faire trembler le reste de l’Europe.

Il n’y avait pas moyen de faire la paix avec le czar sans céder une grande partie des provinces qui sont à l’orient et au nord de la mer Baltique ; mais il lui fit considérer qu’en cédant ces provinces, que le czar possédait déjà et qu’on ne pouvait reprendre, le roi pourrait avoir la gloire de remettre à la fois Stanislas sur le trône de Pologne, de replacer le fils de Jacques II sur celui d’Angleterre, et de rétablir le duc de Holstein dans ses États.

Charles, flatté de ces grandes idées, sans pourtant y compter beaucoup, donna carte blanche à son ministre. Görtz partit de Suède, muni d’un plein pouvoir qui l’autorisait à tout sans restriction, et le rendait plénipotentiaire auprès de tous les princes avec qui il jugerait à propos de négocier. Il fit d’abord sonder la cour de Moscou par le moyen d’un Écossais nommé Areskins, premier médecin du czar, dévoué au parti du prétendant, ainsi que l’étaient presque tous les Écossais qui ne subsistaient pas des faveurs de la cour de Londres,

Ce médecin fit valoir au prince Menzikoff l’importance et la grandeur du projet avec toute la vivacité d’un homme qui y était