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LIVRE HUITIÈME.


taxés. On mit un impôt excessif sur les cheminées. Le peuple, accablé de tant d’exactions, se fût révolté sous tout autre roi ; mais le paysan le plus malheureux de la Suède savait que son maître menait une vie encore plus dure et plus frugale que lui : ainsi tout se soumettait sans murmure à des rigueurs que le roi endurait le premier.

Le danger public fit même oublier les misères particulières. On s’attendait à tout moment à voir les Moscovites, les Danois, les Prussiens, les Saxons, les Anglais même, descendre en Suède : cette crainte était si bien fondée et si forte que ceux qui avaient de l’argent ou des meubles précieux les enfouissaient dans la terre.

En effet, une flotte anglaise avait déjà paru dans la mer Baltique, sans qu’on sût quels étaient ses ordres ; et le roi de Danemark avait la parole du czar que les Moscovites, joints aux Danois, fondraient en Suède au printemps de 1716.

Ce fut une surprise extrême pour toute l’Europe attentive à la fortune de Charles XII quand, au lieu de défendre son pays menacé par tant de princes, il passa en Norvége au mois de mars 1716, avec vingt mille hommes.

Depuis Annibal on n’avait point encore vu de général qui, ne pouvant se soutenir chez lui-même contre ses ennemis, fût allé leur faire la guerre au cœur de leurs États. Le prince de Hesse, son beau-frère, l’accompagna dans cette expédition.

On ne peut aller de Suède en Norvége que par des défilés assez dangereux ; et quand on les a passés, on rencontre de distance en distance des flaques d’eau que la mer y forme entre des rochers ; il fallait faire des ponts chaque jour. Un petit nombre de Danois aurait pu arrêter l’armée suédoise ; mais on n’avait pas prévu cette invasion subite. L’Europe fut encore plus étonnée que le czar demeurât tranquille au milieu de ces événements, et ne fît pas une descente en Suède, comme il en était convenu avec ses alliés.

La raison de cette inaction était un dessein des plus grands, mais en même temps des plus difficiles à exécuter qu’ait jamais formés l’imagination humaine.

Le baron Henri de Görtz, né en Franconie, et baron immédiat de l’empire, ayant rendu des services importants au roi de Suède pendant le séjour de ce monarque à Bender, était depuis devenu son favori et son premier ministre.

Jamais homme ne fut si souple et si audacieux à la fois, si plein de ressources dans les disgrâces, si vaste dans ses desseins,