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HISTOIRE DE CHARLES XII.


enlevé après un grand carnage. Quelques Suédois s’enfuirent vers la ville ; les assiégeants les y poursuivirent : ils entraient pêle-mêle avec les fuyards ; deux officiers et quatre soldats saxons étaient déjà sur le pont-levis, mais on eut le temps de le lever : ils furent pris, et la ville fut sauvée pour cette fois.

On trouva dans ces retranchements vingt-quatre canons, que l’on tourna contre Stralsund. Le siége fut poussé avec l’opiniâtreté et la confiance que devait donner ce premier succès. On canonna et on bombarda la ville presque sans relâche.

Vis-à-vis Stralsund, dans la mer Baltique, est l’île de Rugen, qui sert de rempart à cette place, et où la garnison et les bourgeois auraient pu se retirer s’ils avaient eu des barques pour les transporter. Cette île était d’une conséquence extrême pour Charles : il voyait bien que, si les ennemis en étaient les maîtres, il se trouverait assiégé par terre et par mer ; et que, selon toutes les apparences, il serait réduit, ou à s’ensevelir sous les ruines de Stralsund, ou à se voir prisonnier de ces mêmes ennemis qu’il avait si longtemps méprisés, et auxquels il avait imposé des lois si dures. Cependant le malheureux état de ses affaires ne lui avait pas permis de mettre dans Rugen une garnison suffisante ; il n’y avait pas plus de deux mille hommes de troupes.

Ses ennemis faisaient, depuis trois mois, toutes les dispositions nécessaires pour descendre dans cette île, dont l’abord est très-difficile ; enfin, ayant fait construire des barques, le prince d’Anhalt, à l’aide d’un temps favorable, débarqua dans Rugen, le 15 novembre, avec douze mille hommes. Le roi, présent partout, était dans cette île ; il avait joint ses deux mille soldats, qui étaient retranchés près d’un petit port, à trois lieues de l’endroit où l’ennemi avait abordé ; il se met à leur tête, et marche au milieu de la nuit dans un silence profond. Le prince d’Anhalt avait déjà retranché ses troupes, par une précaution qui semblait inutile. Les officiers qui commandaient sous lui ne s’attendaient pas d’être attaqués la nuit même, et croyaient Charles XII à Stralsund ; mais le prince d’Anhalt, qui savait de quoi Charles était capable, avait fait creuser un fossé profond, bordé de chevaux de frise, et prenait toutes ses sûretés comme s’il eût eu une armée supérieure en nombre à combattre.

À deux heures du matin, Charles arrive aux ennemis sans faire le moindre bruit. Ses soldats se disaient les uns aux autres : Arrachez les chevaux de frise. Ces paroles furent entendues des sentinelles : l’alarme est donnée aussitôt dans le camp ; les ennemis se mettent sous les armes. Le roi, ayant ôté les chevaux de frise,