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HISTOIRE DE CHARLES XII.


namonder : il rendit la lettre au commandant ; elle était conçue en ces termes : « Ne faites aucun feu que quand les ennemis seront au bord du fossé, défendez-vous jusqu’à la dernière goutte de votre sang : je vous recommande à votre bonne fortune. Charles. »

Slerp, ayant lu ce billet, résolut d’obéir et de mourir comme il lui était ordonné, pour le service de son maître. Le 22, au point du jour, les ennemis donnèrent l’assaut : les assiégés, n’ayant tiré que quand ils virent les assiégeants au bord du fossé, en tuèrent un grand nombre ; mais le fossé était comblé, la brèche large, le nombre des assiégeants trop supérieur. On entra dans le château par deux endroits à la fois. Le commandant ne songea alors qu’à vendre chèrement sa vie, et à obéir à la lettre. Il abandonne les brèches par où les ennemis entraient ; il retranche près d’un bastion sa petite troupe, qui a l’audace et la fidélité de le suivre ; il la place de façon qu’elle ne peut être entourée. Les ennemis courent à lui, étonnés de ce qu’il ne demande point de quartier. Il se bat pendant une heure entière, et, après avoir perdu la moitié de ses soldats, il est tué enfin avec son lieutenant et son major. Alors cent soldats, qui restaient avec un seul officier, demandèrent la vie, et furent faits prisonniers : on trouva dans la poche du commandant la lettre de son maître, qui fut portée au roi de Prusse.

Pendant que Charles perdait l’île d’Usedom, et les îles voisines, qui furent bientôt prises ; que Vismar était prêt de se rendre ; qu’il n’avait plus de flotte ; que la Suède était menacée, il était dans la ville de Stralsund[1] ; et cette place était déjà assiégée par trente-six mille hommes.

Stralsund, ville devenue fameuse en Europe par le siége qu’y soutint le roi de Suède, est la plus forte place de la Poméranie. Elle est bâtie entre la mer Baltique et le lac de Franken, sur le détroit de Gella : on n’y peut arriver de terre que sur une chaussée étroite, défendue par une citadelle et par des retranchements qu’on croyait inaccessibles. Elle avait une garnison de près de neuf mille hommes, et de plus le roi de Suède lui-même. Les rois de Danemark et de Prusse entreprirent ce siége avec une armée de trente-six mille hommes, composée de Prussiens, de Danois et de Saxons.

  1. Charles XII attendait dans Stralsund l’arrivée par mer des secours que lui avait promis la France. Mais son malheur voulut que, justement à cette époque, survînt la mort de Louis XIV, 1er septembre 1715. Le général en chef des Saxons, voulant effrayer les Suédois par cette mauvaise nouvelle, la fit annoncer par un trompette. Charles se contenta de lui faire répondre de dessus les murailles, par un autre trompette : « Si Louis XIV est mort, Charles XII vit encore ! » Chroniques moldaves. (A. G.)