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LIVRE SEPTIÈME.


monde se leva : les soldats vinrent entourer la maison du gouverneur. Les rues se remplirent d’habitants, qui se demandaient les uns aux autres : « Est-il vrai que le roi est ici ? » On fit des illuminations à toutes les fenêtres ; le vin coula dans les rues, à la lumière de mille flambeaux et au bruit de l’artillerie.

Cependant on mena le roi au lit : il y avait seize jours qu’il ne s’était couché ; il fallut couper ses bottes sur les jambes, qui s’étaient enflées par l’extrême fatigue. Il n’avait ni linge ni habits : on lui fit une garde-robe en hâte de ce qu’on put trouver de plus convenable dans la ville. Quand il eut dormi quelques heures, il ne se leva que pour aller faire la revue de ses troupes et visiter les fortifications. Le jour même il envoya partout ses ordres pour recommencer une guerre plus vive que jamais contre tous ses ennemis. Au reste, toutes ces particularités, si conformes au caractère extraordinaire de Charles XII, m’ont été confirmées par le comte de Croissy, ambassadeur auprès de ce prince, après m’avoir été apprises par M. Fabrice.

L’Europe chrétienne était alors dans un état bien différent de celui où elle était quand Charles la quitta en 1709.

La guerre qui en avait si longtemps déchiré toute la partie méridionale, c’est-à-dire l’Allemagne, l’Angleterre, la Hollande, la France, l’Espagne, le Portugal et l’Italie, était éteinte. Cette paix générale avait été produite par des brouilleries particulières arrivées à la cour d’Angleterre. Le comte d’Oxford, ministre habile, et le lord Bolingbroke, un des plus brillants génies et l’homme le plus éloquent de son siècle, prévalurent contre le fameux duc de Marlborough, et engagèrent la reine Anne à faire la paix avec Louis XIV. La France, n’ayant plus l’Angleterre pour ennemie, força bientôt les autres puissances à s’accommoder.

Philippe V, petit-fils de Louis XIV, commençait à régner paisiblement sur les débris de la monarchie espagnole. L’empereur d’Allemagne, devenu maître de Naples et de la Flandre, s’affermissait dans ses vastes États. Louis XIV n’aspirait plus qu’à achever en paix sa longue carrière.

Anne, reine d’Angleterre, était morte le 10 août 1714, haïe de la moitié de sa nation pour avoir donné la paix à tant d’États. Son frère Jacques Stuart, prince malheureux, exclu du trône presque en naissant, n’ayant point paru alors en Angleterre pour tenter de recueillir une succession que de nouvelles lois lui auraient donnée si son parti eût prévalu, George Ier, électeur de Hanovre, fut reconnu unanimement roi de la Grande-Bretagne. Le trône appartenait à cet électeur, non en vertu du sang, quoiqu’il des-