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LIVRE SEPTIÈME.


les terres de son obéissance avec une magnificence convenable. Les villes et les villages où les maréchaux des logis avaient par avance marqué sa route faisaient des préparatifs pour le recevoir : tous ces peuples attendaient avec impatience de voir passer cet homme extraordinaire, dont les victoires et les malheurs, les moindres actions, et le repos même, avaient fait tant de bruit en Europe et en Asie. Mais Charles n’avait nulle envie d’essuyer toute cette pompe, ni de montrer en spectacle le prisonnier de Bender ; il avait résolu même de ne jamais rentrer dans Stockholm qu’il n’eût auparavant réparé ses malheurs par une meilleure fortune.

Quand il fut à Tergovitz, sur les frontières de la Transylvanie, après avoir congédié son escorte turque, il assembla sa suite dans une grange, et il leur dit à tous de ne se mettre point en peine de sa personne, et de se trouver le plus tôt qu’ils pourraient à Stralsund, en Poméranie, sur le bord de la mer Baltique, environ à trois cents lieues de l’endroit où ils étaient.

Il ne prit avec lui que During, et quitta toute sa suite gaiement, la laissant dans l’étonnement, dans la crainte et dans la tristesse. Il prit une perruque noire pour se déguiser, car il portait toujours ses cheveux, mit un chapeau bordé d’or avec un habit gris d’épine et un manteau bleu, prit le nom d’un officier allemand, et courut la poste à cheval avec son compagnon de voyage.

Il évita dans sa route, autant qu’il le put, les terres de ses ennemis déclarés et secrets, prit son chemin par la Hongrie, la Moravie, l’Autriche, la Bavière, le Vurtenberg, le Palatinat, la Vestphalie et le Mecklenbourg ; ainsi il fit presque le tour de l’Allemagne, et allongea son chemin de la moitié. À la fin de la première journée, après avoir couru sans relâche, le jeune During, qui n’était pas endurci à ces fatigues excessives comme le roi de Suède, s’évanouit en descendant de cheval. Le roi, qui ne voulait pas s’arrêter un moment sur la route, demanda à During, quand celui-ci fut revenu à lui, combien il avait d’argent. During ayant répondu qu’il avait environ mille écus en or : « Donne-m’en la moitié, dit le roi ; je vois bien que tu n’es pas en état de me suivre : j’achèverai la route tout seul. » During le supplia de daigner se reposer du moins trois heures, l’assurant qu’au bout de ce temps il serait en état de remonter à cheval, et de suivre Sa Majesté ; il le conjura de penser à tous les risques qu’il allait courir. Le roi, inexorable, se fit donner les cinq cents écus et demanda des chevaux. Alors During, effrayé de la résolution du roi, s’avisa d’un stratagème innocent : il tira à part le