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HISTOIRE DE CHARLES XII.


celier Muller d’y aller à sa place ; et de peur que les Turcs ne lui manquassent de respect, et ne le forçassent à commettre sa dignité, ce prince, extrême en tout, se mit au lit et résolut de n’en pas sortir tant qu’il serait à Démotica. Il resta dix mois couché, feignant d’être malade : le chancelier Muller, Grothusen et le colonel Duben étaient les seuls qui mangeassent avec lui. Ils n’avaient aucune des commodités dont les Francs se servent ; tout avait été pillé à l’affaire de Bender, de sorte qu’il s’en fallait bien qu’il y eût dans leurs repas de la pompe et de la délicatesse. Ils se servaient eux-mêmes, et ce fut le chancelier Muller qui fit pendant tout ce temps la fonction de cuisinier.

Tandis que Charles XII passait sa vie dans son lit, il apprit la désolation de toutes ses provinces situées hors de la Suède.

Le général Stenbock, illustre pour avoir chassé les Danois de la Scanie, et pour avoir vaincu leurs meilleures troupes avec des paysans, soutint encore quelque temps la réputation des armes suédoises. Il défendit autant qu’il put la Poméranie et Brême, et ce que le roi possédait encore en Allemagne ; mais il ne put empêcher les Saxons et les Danois réunis d’assiéger Stade, ville forte et considérable, située près de l’Elbe dans le duché de Brême. La ville fut bombardée et réduite en cendres, et la garnison obligée de se rendre à discrétion, avant que Stenbock pût s’avancer pour la secourir.

Ce général, qui avait environ douze mille hommes, dont la moitié était cavalerie, poursuivit les ennemis qui étaient une fois plus forts, et les atteignit enfin dans le duché de Muller d’y aller à sa place ; et de peur que les Turcs ne lui manquassent de respect, et ne le forçassent à commettre sa dignité, ce prince, extrême en tout, se mit au lit et résolut de n’en pas sortir tant qu’il serait à Démotica. Il resta dix mois couché, feignant d’être malade : le chancelier Muller, Grothusen et le colonel Duben étaient les seuls qui mangeassent avec lui. Ils n’avaient aucune des commodités dont les Francs se servent ; tout avait été pillé à l’affaire de Bender, de sorte qu’il s’en fallait bien qu’il y eût dans leurs repas de la pompe et de la délicatesse. Ils se servaient eux-mêmes, et ce fut le chancelier Muller qui fit pendant tout ce temps la fonction de cuisinier.

Stenbock passe à la tête de ses troupes, arrive en ordre de bataille, et engage un des combats les plus sanglants et les plus acharnés qui se fussent encore donnés entre ces deux nations rivales. Après trois heures de cette mêlée si vive, les Danois et les Saxons furent enfoncés et quittèrent le champ de bataille.

Un fils du roi Auguste et de la comtesse de Koënigsmarck, connu sous le nom de comte de Saxe, fit dans cette bataille son apprentissage de l’art de la guerre. C’est ce même comte de Saxe qui eut depuis l’honneur d’être élu duc de Courlande, et à qui il n’a manqué que la force pour jouir du droit le plus incontestable qu’un