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CHAPITRE XLIX.


à la France. Presque toute l’Europe était alors infectée de la croyance à la magie, aux possessions du diable, aux sortiléges de toute espèce. On condamnait même quelquefois des sorciers dans les pays protestants. Cette superstition était malheureusement liée à la religion. La raison humaine n’avait pas encore fait assez de progrès pour distinguer les temps où Dieu permettait que les Pharaons eussent des magiciens, et Saül une pythonisse, d’avec les temps où nous vivons.

Il y a une autre espèce de superstition moins dangereuse, c’est un respect aveugle pour l’antiquité. Ce respect, qui a nui aux progrès de l’esprit pendant tant de siècles, était poussé pour Aristote jusqu’à la crédulité la plus servile. La fortune de ses écrits était bien changée de ce qu’elle avait été quand elle parut en France pour la première fois, du temps des Albigeois. Un concile alors avait condamné Aristote comme hérétique, mais depuis il avait régné despotiquement dans les écoles.

Il arriva qu’en 1624 deux chimistes parurent à Paris. La chimie était une science assez nouvelle. Ces chimistes admettaient cinq éléments différents des quatre éléments d’Aristote. Ils n’étaient pas non plus de son avis sur les catégories ni sur les formes substantielles. Ils publièrent des thèses contre ces opinions du philosophe grec. L’université cria à l’hérésie ; elle présenta requête au parlement. La rumeur fut si grande que les nouveaux docteurs furent mis en prison, leurs thèses lacérées en leur présence par un huissier, les deux délinquants condamnés au bannissement du ressort du parlement ; enfin il fut défendu par le même arrêt, sous peine de la vie, de soutenir aucune thèse sans la permission de la Faculté.

Il faut plaindre les temps où l’ignorance, et la fausse science encore pire, avilissaient ainsi la raison humaine : et malheureusement ces temps étaient bien proches du nôtre. Nous avions eu cependant des Montaigne, des Charron, des de Thou, des l’Hospital ; mais le peu de lumière qu’ils avaient apportée était éteinte, et cette lumière même n’éclaira jamais qu’un petit nombre d’hommes.

Si le parlement, ayant plus étudié les droits de la couronne et du royaume que la philosophie, tombait dans ces erreurs, qui étaient celles du temps, il continuait toujours à détruire une autre erreur que la cour de Rome avait voulu introduire dans tous les lieux et dans tous les temps, et qui était l’erreur de presque tous les ordres monastiques : c’était ce préjugé incroyable, établi depuis le pape Grégoire VII, que les rois sont jus-