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HISTOIRE DE CHARLES XII.


homme intrépide qui, n’ayant pas alors une fortune selon son courage, et charmé d’ailleurs de la réputation du roi de Suède, était venu chez les Turcs dans le dessein de se mettre au service de ce prince.

M. de Fierville, avec l’aide de ce jeune homme, écrivit un mémoire au nom du roi de Suède, dans lequel ce monarque demandait vengeance au sultan de l’insulte faite en sa personne à toutes les têtes couronnées, et de la trahison vraie ou fausse du kan et du bacha de Bender.

On y accusait le vizir et les autres ministres d’avoir été corrompus par les Moscovites, d’avoir trompé le Grand Seigneur, d’avoir empêché les lettres du roi de parvenir jusqu’à Sa Hautesse, et d’avoir, par ses artifices, arraché du sultan cet ordre si contraire à l’hospitalité musulmane, par lequel on avait violé le droit des nations d’une manière si indigne d’un grand empereur, en attaquant avec vingt mille hommes un roi qui n’avait, pour se défendre, que ses domestiques, et qui comptait sur la parole sacrée du sultan.

Quand ce mémoire fut écrit, il fallut le faire traduire en turc, et l’écrire d’une écriture particulière sur un papier fait exprès, dont on doit se servir pour tout ce qu’on présente au sultan.

On s’adressa à quelques interprètes français qui étaient dans la ville ; mais les affaires du roi de Suède étaient si désespérées, et le vizir déclaré si ouvertement contre lui, qu’aucun interprète n’osa seulement traduire l’écrit de M. de Fierville. On trouva enfin un autre étranger, dont la main n’était point connue à la Porte, qui, moyennant quelque récompense et l’assurance d’un secret profond, traduisit le mémoire en turc, et l’écrivit sur le papier convenable ; le baron d’Arvidson, officier des troupes de Suède, contrefit la signature du roi. Fierville, qui avait le sceau royal, l’apposa à l’écrit, et on cacheta le tout avec les armes de Suède. Villelongue se chargea de remettre lui-même ce paquet entre les mains du Grand Seigneur, lorsqu’il irait à la mosquée, selon la coutume. On s’était déjà servi d’une pareille voie pour présenter au sultan des mémoires contre ses ministres ; mais cela même rendait le succès de cette entreprise plus difficile, et le danger beaucoup plus grand.

Le vizir, qui prévoyait que les Suédois demanderaient justice à son maître, et qui n’était que trop instruit par le malheur de ses prédécesseurs, avait expressément défendu qu’on laissât approcher personne du Grand Seigneur, et avait ordonné surtout