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HISTOIRE DE CHARLES XII.


balança pas à le croire un traître. Les instances réitérées qu’on lui fit alors de partir changèrent ses soupçons en certitude. L’opiniâtreté de son caractère se joignant à toutes ces vraisemblances, il demeura ferme dans l’opinion qu’on voulait le trahir et le livrer à ses ennemis, quoique ce complot n’ait jamais été prouvé.

Il pouvait se tromper dans l’idée qu’il avait que le roi Auguste avait marchandé sa personne avec les Tartares ; mais il se trompait encore davantage en comptant sur le secours de la cour ottomane. Quoi qu’il en soit, il résolut de gagner du temps.

Il dit au bacha de Bender qu’il ne pouvait partir sans avoir auparavant de quoi payer ses dettes : car, quoiqu’on lui eût rendu depuis longtemps son thaïm, ses libéralités l’avaient toujours forcé d’emprunter. Le bacha lui demanda ce qu’il voulait ; le roi répondit au hasard mille bourses, qui sont quinze cent mille francs de notre argent en monnaie forte[1]. Le bacha en écrivit à la Porte : le sultan, au lieu de mille bourses qu’on lui demandait, en accorda douze cents, et écrivit au bacha la lettre suivante :

Lettre du Grand Seigneur au bacha de Bender.

« Le but de cette lettre impériale est pour vous faire savoir que, sur votre recommandation et représentation, et sur celle du très-noble Delvet Gherai, kan à notre Sublime-Porte, notre impériale magnificence a accordé mille bourses au roi de Suède, qui seront envoyées à Bender, sous la conduite et la charge du très-illustre Mehemet bacha, ci-devant chiaoux pachi, pour rester sous votre garde jusqu’au temps du départ du roi de Suède, dont Dieu dirige les pas ! et lui être données alors avec deux cents bourses de plus, comme un surcroît de notre libéralité impériale qui excède sa demande.

Quant à la route de Pologne, qu’il est résolu de prendre, vous aurez soin, vous et le kan qui devez l’accompagner, de prendre des mesures si prudentes et si sages que, pendant tout le passage, les troupes qui sont sous votre commandement, et les gens du roi de Suède, ne causent aucun dommage, et ne fassent aucune action qui puisse être réputée contraire à la paix qui subsiste encore entre notre Sublime-Porte et le royaume et la république de Pologne : en sorte que le roi passe comme ami sous notre protection.

  1. C’est-à-dire en espèces évaluées sur un pied avantageux à celui qui reçoit (Dictionnaire de l’Académie.)