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HISTOIRE DE CHARLES XII.


Il n’attendait, pour exécuter ses grands desseins, que l’emploi de premier vizir, dont sa jeunesse l’écartait encore. Dans cette idée, il avait plus besoin d’être l’allié que l’ennemi du czar ; son intérêt ni sa volonté n’étaient pas de garder plus longtemps le roi de Suède, encore moins d’armer la Turquie en sa faveur. Non-seulement il voulait renvoyer ce prince, mais il disait ouvertement qu’il ne fallait plus souffrir désormais aucun ministre chrétien à Constantinople ; que tous ces ambassadeurs ordinaires n’étaient que des espions honorables^^1 qui corrompaient ou qui trahissaient les vizirs, et donnaient depuis trop longtemps le mouvement aux intrigues du sérail ; que les Francs établis à Péra et dans les Échelles du Levant sont des marchands qui n’ont besoin que d’un consul, et non d’un ambassadeur. Le grand vizir, qui devait son établissement et sa vie même au favori, et qui de plus le craignait, se conformait à ses intentions d’autant plus aisément qu’il s’était vendu aux Moscovites, et qu’il espérait se venger du roi de Suède, qui avait voulu le perdre. Le mufti, créature d’Ali Coumourgi, était aussi l’esclave de ses volontés : il avait conseillé la guerre contre le czar quand le favori la voulait, et il la trouva injuste dès que ce jeune homme eut changé d’avis ; ainsi à peine l’armée fut assemblée qu’on écouta des propositions d’accommodement. Le vice-chancelier Schaffirof et le jeune Sheremetoff, plénipotentiaires et otages du czar à la Porte, promirent, après bien des négociations, que le czar retirerait ses troupes de la Pologne. Le grand vizir, qui savait bien que le czar n’exécuterait pas ce traité, ne laissa pas de le signer ; et le sultan, content d’avoir en apparence imposé des lois aux Russes, resta encore à Andrinople. Ainsi on vit en moins de six mois la paix jurée avec le czar, ensuite la guerre déclarée, et la paix renouvelée encore.

Le principal article de tous ces traités fut toujours qu’on ferait partir le roi de Suède. Le sultan ne voulait point commettre son honneur et celui de l’empire ottoman, en exposant le roi à être pris sur la route par ses ennemis. Il fut stipulé qu’il partirait, mais que les ambassadeurs de Pologne et de Moscovie répondraient de la sûreté de sa personne : ces ambassadeurs jurèrent, au nom de leurs maîtres, que ni le czar ni le roi Auguste ne troubleraient son passage, et que Charles, de son côté, ne tenterait d’exciter aucun mouvement en Pologne. Le divan ayant ainsi réglé la destinée de Charles, Ismaël, sérasquier de Bender, se transporta à Varnitza, où le roi était campé, et vint lui rendre compte des résolutions de la Porte, en lui insinuant adroitement qu’il n’y avait plus à différer, et qu’il fallait partir.