Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/296

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
286
HISTOIRE DE CHARLES XII.


chevaux et chariots. Nous vous exhortons surtout, et vous recommandons de donner vos ordres les plus positifs et les plus clairs à tous les Suédois et autres gens qui se trouvent auprès de vous de ne commettre aucun désordre, et de ne faire aucune action qui tende directement ou indirectement à violer cette paix et amitié.

« Vous conserverez par là notre bienveillance, dont nous chercherons à vous donner d’aussi grandes et d’aussi fréquentes marques qu’il s’en présentera d’occasions. Nos troupes destinées pour vous accompagner recevront des ordres conformes à nos intentions impériales.

« Donné à notre Sublime-Porte de Constantinople, le 14 de la lune rebyul eurech 1124. » Ce qui revient au 19 avril 1712.


Cette lettre ne fit point encore perdre l’espérance au roi de Suède : il écrivit au sultan qu’il serait toute sa vie reconnaissant des faveurs dont Sa Hautesse l’avait comblé ; mais qu’il croyait le sultan trop juste pour le renvoyer avec la simple escorte d’un camp-volant dans un pays encore inondé des troupes du czar. En effet l’empereur russe, malgré le premier article de la paix du Pruth, par lequel il s’était engagé à retirer toutes ses troupes de la Pologne, y en avait fait encore passer de nouvelles ; et ce qui semble étonnant, c’est que le Grand Seigneur n’en savait rien.

La mauvaise politique de la Porte, d’avoir toujours par vanité des ambassadeurs des princes chrétiens à Constantinople, et de ne pas entretenir un seul agent dans les cours chrétiennes, fait que ceux-ci pénètrent et conduisent quelquefois les résolutions les plus secrètes du sultan, et que le divan est toujours dans une profonde ignorance de ce qui se passe publiquement chez les chrétiens.

Le sultan, enfermé dans son sérail parmi ses femmes et ses eunuques, ne voit que par les yeux de son grand vizir : ce ministre, aussi inaccessible que son maître, occupé des intrigues du sérail, et sans correspondance au dehors, est d’ordinaire trompé, ou trompe le sultan, qui le dépose ou le fait étrangler à la première faute, pour en choisir un autre aussi ignorant ou aussi perfide, qui se conduit comme ses prédécesseurs, et qui tombe bientôt comme eux.

Telle est pour l’ordinaire l’inaction et la sécurité profonde de cette cour que, si les princes chrétiens se liguaient contre elle, leurs flottes seraient aux Dardanelles, et leur armée de terre aux portes d’Andrinople, avant que les Turcs eussent songé à se défendre ; mais les divers intérêts qui diviseront toujours la chré-