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HISTOIRE DE CHARLES XII.


par son courage, et remplir avec gloire le trône d’un législateur.

Lorsqu’elle épousa le czar, elle quitta la religion luthérienne, où elle était née, pour la moscovite : on la rebaptisa selon l’usage du rite russien, et, au lieu du nom de Marthe, elle prit le nom de Catherine, sous lequel elle a été connue depuis. Cette femme étant donc au camp du Pruth tint un conseil avec les officiers généraux et le vice-chancelier Schaffirof, pendant que le czar était dans sa tente.

On conclut qu’il fallait demander la paix aux Turcs, et engager le czar à faire cette démarche. Le vice-chancelier écrivit une lettre au grand vizir, au nom de son maître : la czarine entra avec cette lettre dans la tente du czar, malgré la défense, et, ayant, après bien des prières, des contestations et des larmes, obtenu qu’il la signât, elle rassembla sur-le-champ toutes ses pierreries, tout ce qu’elle avait de plus précieux, tout son argent ; elle en emprunta même des officiers généraux, et, ayant composé de cet amas un présent considérable, elle l’envoya à Osman aga, lieutenant du grand vizir, avec la lettre signée par l’empereur moscovite. Mehemet Baltagi, conservant d’abord la fierté d’un vizir et d’un vainqueur, répondit : « Que le czar m’envoie son premier ministre, et je verrai ce que j’ai à faire. » Le vice-chancelier Schaffirof vint aussitôt chargé de quelques présents, qu’il offrit publiquement lui-même au grand vizir, assez considérables pour lui marquer qu’on avait besoin de lui, mais trop peu pour le corrompre.

La première demande du vizir fut que le czar se rendît avec toute son armée à discrétion. Le vice-chancelier répondit que son maître allait l’attaquer dans un quart d’heure, et que les Moscovites périraient jusqu’au dernier plutôt que de subir des conditions si infâmes. Osman ajouta ses remontrances aux paroles de Schaffirof.

Mehemet Baltagi n’était pas guerrier : il voyait que les janissaires avaient été repoussés la veille. Osman lui persuada aisément de ne pas mettre au hasard d’une bataille des avantages certains. Il accorda donc d’abord une suspension d’armes pour six heures, pendant laquelle on conviendrait des conditions du traité.

Pendant qu’on parlementait, il arriva un petit accident qui peut faire connaître que les Turcs sont souvent plus jaloux de leur parole que nous ne croyons. Deux gentilshommes italiens, parents de M. Brillo, lieutenant-colonel d’un régiment de grenadiers au service du czar, s’étant écartés pour chercher quelque fourrage, furent pris par des Tartares, qui les emmenèrent à leur