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LIVRE CINQUIÈME.


ses ennemis, sans exiger le moindre fruit de ses victoires ; le czar, se conduisant plus en prince et moins en héros, ne voulut secourir le roi de Pologne qu’à condition qu’on lui céderait la Livonie, et que cette province, pour laquelle Auguste avait allumé la guerre, resterait aux Moscovites pour toujours.

Le roi de Danemark, oubliant le traité de Travendal, comme Auguste celui d’Alt-Rantstadt, songea dès lors à se rendre maître des duchés de Holstein et de Brême, sur lesquels il renouvela ses prétentions. Le roi de Prusse avait d’anciens droits sur la Poméranie suédoise, qu’il voulait faire revivre. Le duc de Mecklenbourg voyait avec dépit que la Suède possédât encore Vismar, la plus belle ville du duché : ce prince devait épouser une nièce de l’empereur moscovite, et le czar ne demandait qu’un prétexte pour s’établir en Allemagne, à l’exemple des Suédois. George, électeur de Hanovre, cherchait de son côté à s’enrichir des dépouilles de Charles. L’évêque de Munster aurait bien voulu faire aussi valoir quelques droits, s’il en avait eu le pouvoir.

Douze à treize mille Suédois défendaient la Poméranie et les autres pays que Charles possédait en Allemagne : c’était là que la guerre allait se porter. Cet orage alarma l’empereur et ses alliés. C’est une loi de l’empire, que quiconque attaque une de ses provinces est réputé l’ennemi de tout le corps germanique.

Mais il y avait encore un plus grand embarras. Tous ces princes, à la réserve du czar, étaient réunis alors contre Louis XIV, dont la puissance avait été quelque temps aussi redoutable à l’empire que celle de Charles.

L’Allemagne s’était trouvée, au commencement du siècle, pressée, du midi au nord, entre les armées de la France et de la Suède. Les Français avaient passé le Danube, et les Suédois l’Oder ; si leurs forces, alors victorieuses, s’étaient jointes, l’empire eût été perdu. Mais la même fatalité qui accabla la Suède avait aussi humilié la France ; toutefois la Suède avait encore des ressources, et Louis XIV faisait la guerre avec vigueur, quoique malheureusement. Si la Poméranie et le duché de Brême devenaient le théâtre de la guerre, il était à craindre que l’empire n’en souffrît, et qu’étant affaibli de ce côté il n’en fût moins fort contre Louis XIV. Pour prévenir ce danger, l’empereur, les princes d’Allemagne, Anne, reine d’Angleterre, les états généraux des Provinces-Unies, conclurent à la Haye, sur la fin de l’année 1709, un des plus singuliers traités que jamais on ait signés.

Il fut stipulé par ces puissances que la guerre contre les Suédois ne se ferait point en Poméranie, ni dans aucune des pro-