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HISTOIRE DE CHARLES XII.


craindre ni pour leurs vies, ni pour leurs fortunes, ni pour leur liberté.

Tel était l’empereur des Turcs, chez qui le roi de Suède vint chercher un asile. Il lui écrivit dès qu’il fut sur ses terres ; sa lettre est du 13 juillet 1709. Il en courut plusieurs copies différentes[1], qui toutes passent aujourd’hui pour infidèles ; mais de toutes celles que j’ai vues, il n’en est aucune qui ne marquât de la hauteur, et qui ne fût plus conforme à son courage qu’à sa situation. Le sultan ne lui fit réponse que vers la fin de septembre. La fierté de la Porte-Ottomane fit sentir à Charles XII la différence qu’elle mettait entre l’empereur turc et un roi d’une partie de la Scandinavie, chrétien, vaincu et fugitif. Au reste, toutes ces lettres, que les rois écrivent très-rarement eux-mêmes, ne sont que de vaines formalités qui ne font connaître ni le caractère des souverains ni leurs affaires.

Charles XII, en Turquie, n’était en effet qu’un captif honorablement traité. Cependant il concevait le dessein d’armer l’empire ottoman contre ses ennemis. Il se flattait de ramener la Pologne sous le joug, et de soumettre la Russie ; il avait un envoyé à Constantinople ; mais celui qui le servit le plus dans ses vastes projets fut le comte Poniatowski[2], lequel alla à Constantinople sans mission, et se rendit bientôt nécessaire au roi, agréable à la Porte, et enfin dangereux aux grands vizirs mêmes[3].

Un de ceux qui secondèrent plus adroitement ses desseins fut le médecin Fonseca[4] portugais, juif établi à Constantinople, homme savant et délié, capable d’affaires, et le seul philosophe peut-être de sa nation : sa profession lui procurait des entrées à la Porte-Ottomane, et souvent la confiance des vizirs. Je l’ai fort connu à Paris ; il m’a confirmé toutes les particularités que je vais raconter. Le comte Poniatowski m’a dit lui-même, et m’a écrit qu’il avait eu l’adresse de faire tenir des lettres à la sultane Validé, mère de l’empereur régnant, autrefois maltraitée par son fils, mais qui commençait à prendre du crédit dans le sérail. Une juive, qui approchait souvent de cette princesse, ne cessait de lui

  1. Dans les premières éditions, Voltaire donnait le texte d’une de ces copies ; mais Poniatowski ayant dit dans ses Remarques que la lettre du roi de Suède n’a jamais été du sens de celle que Voltaire rapportait, c’en fut assez pour que Voltaire supprimât la lettre. (B.)
  2. Dernière version.
  3. C’est de lui dont je tiens non-seulement les Remarques qui ont été imprimées, et dont le chapelain Nordberg a fait usage, mais encore beaucoup d’autres manuscrits concernant cette histoire. (Note de Voltaire.)
  4. C’était un renégat français, nommé M. Goin, premier chirurgien du sérail. (P.)