Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LIVRE CINQUIÈME.

ARGUMENT.

État de la Porte-Ottomane. Charles séjourne près de Bender. Ses occupations. Ses intrigues à la Porte. Ses desseins. Auguste remonte sur son trône. Le roi de Danemark fait une descente en Suède. Tous les autres États de Charles sont attaqués. Le czar triomphe dans Moscou. Affaire du Pruth. Histoire de la czarine, paysanne devenue impératrice.

Achmet III gouvernait alors l’empire de Turquie. Il avait été mis en 1703 sur le trône, à la place de son frère Mustapha, par une révolution semblable à celle qui avait donné en Angleterre la couronne de Jacques II à son gendre Guillaume. Mustapha, gouverné par son mufti, que les Turcs abhorraient, souleva contre lui tout l’empire. Son armée, avec laquelle il comptait punir les mécontents, se joignit à eux. Il fut pris, déposé en cérémonie, et son frère tiré du sérail pour devenir sultan, sans qu’il y eût presque une goutte de sang répandue. Achmet renferma le sultan déposé dans le sérail de Constantinople, où il vécut encore quelques années, au grand étonnement de la Turquie, accoutumée à voir la mort de ses princes suivre toujours leur détrônement.

Le nouveau sultan, pour toute récompense d’une couronne qu’il devait aux ministres, aux généraux, aux officiers des janissaires, enfin à ceux qui avaient eu part à la révolution, les fit tous périr les uns après les autres, de peur qu’un jour ils n’en tentassent une seconde. Par le sacrifice de tant de braves gens il affaiblit les forces de l’empire ; mais il affermit son trône, du moins pour quelques années. Il s’appliqua depuis à amasser des trésors : c’est le premier des Ottomans qui ait osé altérer un peu la monnaie et établir de nouveaux impôts ; mais il a été obligé de s’arrêter dans ces deux entreprises, de crainte d’un soulèvement : car la rapacité et la tyrannie du Grand Seigneur ne s’étendent presque jamais que sur les officiers de l’empire, qui, quels qu’ils soient, sont esclaves domestiques du sultan ; mais le reste des musulmans vit dans une sécurité profonde, sans