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LIVRE TROISIÈME.


et ayant dit durement que ce prince en usait trop mal avec son maître, Strålheim lui avait donné un démenti et un soufflet, et avait osé, après cette insulte, demander réparation à la cour impériale. La crainte de déplaire au roi de Suède avait forcé l’empereur à bannir son sujet, qu’il devait venger. Charles XII ne fut pas satisfait ; il voulut qu’on lui livrât le comte de Zobor. La fierté de la cour de Vienne fut obligée de fléchir ; on mit le comte entre les mains du roi, qui le renvoya, après l’avoir gardé quelque temps prisonnier à Stetin.

Il demanda de plus, contre toutes les lois des nations, qu’on lui livrât quinze cents malheureux Moscovites qui, ayant échappé à ses armes, avaient fui jusque sur les terres de l’empire. Il fallut encore que la cour de Vienne consentît à cette étrange demande ; et si l’envoyé moscovite à Vienne n’avait adroitement fait évader ces malheureux par divers chemins, ils étaient tous livrés à leurs ennemis.

La troisième et la dernière de ses demandes fut la plus forte. Il se déclara le protecteur des sujets protestants de l’empereur en Silésie, province appartenante à la maison d’Autriche, non à l’empire ; il voulut que l’empereur leur accordât des libertés et des priviléges, établis, à la vérité, par les traités de Vestphalie, mais éteints, ou du moins éludés par ceux de Rysvick. L’empereur, qui ne cherchait qu’à éloigner un voisin si dangereux, plia encore, et accorda tout ce qu’on voulut. Les luthériens de Silésie eurent plus de cent églises que les catholiques furent obligés de leur céder par ce traité ; mais beaucoup de ces concessions, que leur assurait la fortune du roi de Suède, leur furent ravies dès qu’il ne fut plus en état d’imposer des lois.

L’empereur qui fit ces concessions forcées, et qui plia en tout sous la volonté de Charles XII, s’appelait Joseph ; il était fils aîné de Léopold, et frère de Charles VI, qui lui succéda depuis. L’internonce du pape, qui résidait alors auprès de Joseph, lui fit des reproches fort vifs de ce qu’un empereur catholique comme lui avait fait céder l’intérêt de sa propre religion à ceux des hérétiques. « Vous êtes bien heureux, lui répondit l’empereur en riant, que le roi de Suède ne m’ait pas proposé de me faire luthérien ; car, s’il l’avait voulu, je ne sais pas ce que j’aurais fait. »

Le comte de Wratislau, son ambassadeur auprès de Charles XII, apporta à Leipsick le traité en faveur des Silésiens, signé de la main de son maître. Alors Charles dit qu’il était le meilleur ami de l’empereur ; cependant il ne vit pas sans dépit que Rome l’eût traversé autant qu’elle l’avait pu. Il regardait avec mépris la faiblesse