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HISTOIRE DE CHARLES XII.


qui venait de lui enlever ce qui était destiné pour le dîner de sa famille. Le roi fit venir le soldat : « Est-il vrai, dit-il d’un visage sévère, que vous avez volé cet homme ? — Sire, dit le soldat, je ne lui ai pas fait tant de mal que Votre Majesté en a fait à son maître : vous lui avez ôté un royaume, et je n’ai pris à ce manant qu’un dindon. » Le roi donna dix ducats de sa main au paysan, et pardonna au soldat en faveur de la hardiesse du bon mot, en lui disant : « Souviens-toi, mon ami, que si j’ai ôté un royaume au roi Auguste, je n’en ai rien pris pour moi. »

La grande foire de Leipsick se tint comme à l’ordinaire : les marchands y vinrent avec une sûreté entière ; on ne vit pas un soldat suédois dans la foire ; on eût dit que l’armée du roi de Suède n’était en Saxe que pour veiller à la conservation du pays. Il commandait dans tout l’électorat avec un pouvoir aussi absolu et une tranquillité aussi profonde que dans Stockholm.

Le roi Auguste, errant dans la Pologne, privé à la fois de son royaume et de son électoral, écrivit enfin une lettre de sa main à Charles XII pour lui demander la paix. Il chargea en secret le baron d’Imhof d’aller porter la lettre, conjointement avec M. Fingsten, référendaire du conseil privé ; il leur donna à tous deux ses pleins pouvoirs et son blanc-signé. « Allez, leur dit-il en propres mots ; tâchez de m’obtenir des conditions raisonnables et chrétiennes. » Il était réduit à la nécessité de cacher ses démarches pour la paix, et de ne recourir à la médiation d’aucun prince : car étant alors en Pologne à la merci des Moscovites, il craignait, avec raison, que le dangereux allié qu’il abandonnait ne se vengeât sur lui de sa soumission au vainqueur. Ses deux plénipotentiaires arrivèrent de nuit au camp de Charles XII ; ils eurent une audience secrète. Le roi lut la lettre. « Messieurs, dit-il aux plénipotentiaires, vous aurez dans un moment ma réponse. » Il se retira aussitôt dans son cabinet, et fit écrire ce qui suit :


« Je consens de donner la paix aux conditions suivantes, auxquelles il ne faut pas s’attendre que je change rien.

« 1. Que le roi Auguste renonce pour jamais à la couronne de Pologne, qu’il reconnaisse Stanislas pour légitime roi, et qu’il promette de ne jamais songer à remonter sur le trône, même après la mort de Stanislas.

« 2. Qu’il renonce à tous autres traités, et particulièrement à ceux qu’il a faits avec la Moscovie.

« 3. Qu’il renvoie avec honneur en mon camp les princes Sobieski et tous les prisonniers qu’il a pu faire.