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LIVRE TROISIÈME.


entre les ennemis et lui, Charles XII et ses Suédois la passaient à la nage. Un parti suédois prit le bagage d’Auguste, où il y avait deux cent mille écus d’argent monnayé. Stanislas saisit huit cent mille ducats appartenant au prince Menzikoff, général moscovite. Charles, à la tête de sa cavalerie, fit trente lieues en vingt-quatre heures, chaque cavalier menant un cheval en main pour le monter quand le sien serait rendu. Les Moscovites, épouvantés et réduits à un petit nombre, fuyaient en désordre au delà du Borysthène,

Tandis que Charles chassait devant lui les Moscovites jusqu’au fond de la Lithuanie, Schulenbourg repassa enfin l’Oder, et vint à la tête de vingt mille hommes présenter la bataille au grand maréchal Rehnsköld, qui passait pour le meilleur général de Charles XII, et que l’on appelait le Parménion de l’Alexandre du Nord. Ces deux illustres généraux, qui semblaient participer à la destinée de leurs maîtres, se rencontrèrent assez près de Punits, dans un lieu nommé Frauenstadt, territoire déjà fatal aux troupes d’Auguste. Rehnsköld n’avait que treize bataillons et vingt-deux escadrons, qui faisaient en tout près de dix mille hommes. Schulenbourg en avait une fois autant. Il est à remarquer qu’il y avait dans son armée un corps de six à sept mille Moscovites, que l’on avait longtemps disciplinés, et sur lesquels on comptait comme sur des soldats aguerris. Cette bataille de Frauenstadt se donna le 12 février 1706 ; mais ce même général Schulenbourg, qui, avec quatre mille hommes, avait en quelque façon trompé la fortune du roi de Suède, succomba sous celle du général Rehnsköld. Le combat ne dura pas un quart d’heure ; les Saxons ne résistèrent pas un moment ; les Moscovites jetèrent leurs armes dès qu’ils virent les Suédois : l’épouvante fut si subite, et le désordre si grand, que les vainqueurs trouvèrent sur le champ de bataille sept mille fusils tout chargés qu’on avait jetés à terre sans tirer. Jamais déroute ne fut plus prompte, plus complète et plus honteuse ; et cependant jamais général n’avait fait une si belle disposition que Schulenbourg, de l’aveu de tous les officiers saxons et suédois, qui virent en cette journée combien la prudence humaine est peu maîtresse des événements.

Parmi les prisonniers, il se trouva un régiment entier de Français. Ces infortunés avaient été pris par les troupes de Saxe, l’an 1704, à cette fameuse bataille de Hochstedt, si funeste à la grandeur de Louis XIV. Ils avaient passé depuis au service du roi Auguste, qui en avait fait un régiment de dragons, et en avait donné le commandement à un Français de la maison de Joyeuse. Le colonel fut tué à la première, ou plutôt à la seule charge des