conquêtes : c’était la ville de Pétersbourg, dont il fit depuis sa résidence et le centre du commerce. Elle est située entre la Finlande et l’Ingrie, dans une île marécageuse, autour de laquelle la Néva se divise en plusieurs bras avant de tomber dans le golfe de Finlande : lui-même traça le plan de la ville, de la forteresse, du port, des quais qui l’embellissent, et des forts qui en défendent l’entrée. Cette île inculte et déserte, qui n’était qu’un amas de boue pendant le court été de ces climats, et dans l’hiver qu’un étang glacé où l’on ne pouvait aborder par terre qu’à travers des forêts sans route et des marais profonds, et qui n’avait été jusqu’alors que le repaire des loups et des ours, fut remplie, en 1703, de plus de trois cent mille hommes que le czar avait rassemblés de ses États. Les paysans du royaume d’Astracan et ceux qui habitent les frontières de la Chine furent transportés à Pétersbourg. Il fallut percer des forêts, faire des chemins, sécher des marais, élever des digues, avant de jeter les fondements de la ville. La nature fut forcée partout. Le czar s’obstina à peupler un pays qui semblait n’être pas destiné pour des hommes : ni les inondations qui ruinèrent ses ouvrages, ni la stérilité du terrain, ni l’ignorance des ouvriers, ni la mortalité même, qui fit périr deux cent mille[1] hommes dans ces commencements, ne lui firent point changer de résolution[2]. La ville fut fondée parmi les obstacles que la nature, le génie des peuples et une guerre malheureuse y apportaient. Pétersbourg était déjà une ville en 1705, et son port était rempli de vaisseaux. L’empereur y attirait les étrangers par des bienfaits, distribuant des terres aux uns, donnant des maisons aux autres, et encourageant tous les arts qui venaient adoucir ce climat sauvage. Surtout il avait rendu Pétersbourg inaccessible aux efforts des ennemis. Les généraux suédois, qui battaient souvent ses troupes partout ailleurs, n’avaient pu endommager cette colonie naissante. Elle était tranquille au milieu de la guerre qui l’environnait.
Le czar, en se créant ainsi de nouveaux États, tendait toujours la main au roi Auguste, qui perdait les siens ; il lui persuada par le général Patkul, passé depuis peu au service de Moscovie, et alors ambassadeur du czar en Saxe, de venir à Grodno conférer encore une fois avec lui sur l’état malheureux de ses affaires. Le roi Auguste y vint avec quelques troupes, accompagné du général Schulenbourg, que son passage de l’Oder avait rendu illustre dans le Nord, et en qui il mettait sa dernière espérance. Le czar y arriva,