Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
205
LIVRE TROISIÈME.


la ville : c’était le roi Auguste, qui, par un nouvel effort et par une des plus belles marches que jamais général ait faites, ayant donné le change au roi de Suède, venait avec vingt mille hommes fondre dans Varsovie, et enlever son rival.

Varsovie n’était pas fortifiée, et les troupes polonaises qui la défendaient, peu sûres. Auguste avait des intelligences dans la ville ; si Stanislas demeurait, il était perdu. Il renvoya sa famille en Posnanie, sous la garde des troupes polonaises auxquelles il se fiait le plus. Il crut, dans ce désordre, avoir perdu sa seconde fille, âgée d’un an. Elle fut égarée par sa nourrice : il la retrouva dans une auge d’écurie, où elle avait été abandonnée, dans un village voisin ; c’est ce que je lui ai entendu conter. Ce fut ce même enfant que la destinée, après de plus grandes vicissitudes, fit depuis reine de France[1]. Plusieurs gentilshommes prirent des chemins différents ; le nouveau roi partit lui-même pour aller trouver Charles XII, apprenant de bonne heure à souffrir des disgrâces, et forcé de quitter sa capitale six semaines après y avoir été élu souverain.

Auguste entra dans la capitale en souverain irrité et victorieux. Les habitants, déjà rançonnés par le roi de Suède, le furent encore davantage par Auguste. Le palais du cardinal et toutes les maisons des seigneurs confédérés, tous leurs biens à la ville et à la campagne, furent livrés au pillage. Ce qu’il y eut de plus étrange dans cette révolution passagère, c’est qu’un nonce du pape, qui était venu avec le roi Auguste, demanda au nom de son maître qu’on lui livrât l’évêque de Posnanie, comme justiciable de la cour de Rome, en qualité d’évêque et de fauteur d’un prince mis sur le trône par les armes d’un luthérien.

La cour de Rome, qui a toujours songé à augmenter son pouvoir temporel à la faveur du spirituel, avait depuis très-longtemps établi en Pologne une espèce de juridiction à la tête de laquelle est le nonce du pape. Ses ministres n’avaient pas manqué de profiter de toutes les conjonctures favorables pour étendre leur pouvoir, révéré par la multitude, mais toujours contesté par les plus sages. Ils s’étaient attribué le droit de juger toutes les causes des ecclésiastiques, et avaient surtout, dans les temps de troubles, usurpé beaucoup d’autres prérogatives, dans lesquelles ils se sont maintenus jusque vers l’année 1728, où l’on a retran-

  1. Marie Leczinska, née en 1703, qui épousa Louis XV en 1725, et mourut en 1768. — Voyez, sur les circonstances qui amenèrent son mariage, tome XV, pages 172-174.