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LIVRE DEUXIÈME.


on exigea même de la ville une contribution de cent mille écus, par laquelle elle paya son refus imprudent. Enfin les troupes de renfort, le canon et les munitions, étant arrivés devant Thorn, on commença le siége le 22 septembre.

Robel, gouverneur de la place, la défendit un mois avec cinq mille hommes de garnison. Au bout de ce temps il fut forcé de se rendre à discrétion. La garnison fut faite prisonnière de guerre, et envoyée en Suède. Robel fut présenté désarmé au roi. Ce prince, qui ne perdait jamais une occasion d’honorer le mérite dans ses ennemis, lui donna une épée de sa main, lui fit un présent considérable en argent, et le renvoya sur sa parole[1]. Mais la ville, petite et pauvre, fut condamnée à payer quarante mille écus ; contribution excessive pour elle.

Elbing, bâtie sur un bras de la Vistule, fondée par les chevaliers teutons, et annexée aussi à la Pologne, ne profita pas de la faute des Dantzickois : elle balança trop à donner passage aux troupes suédoises. Elle en fut plus sévèrement punie que Dantzick. Charles y entra le 13 de décembre, à la tête de quatre mille hommes, la baïonnette au bout du fusil. Les habitants, épouvantés, se jetèrent à genoux dans les rues, et lui demandèrent miséricorde. Il les fit tous désarmer, logea ses soldats chez les bourgeois ; ensuite, ayant mandé le magistrat, il exigea le jour même une contribution de deux cent soixante mille écus ; il y avait dans la ville deux cents pièces de canon et quatre cents milliers de poudre, qu’il saisit. Une bataille gagnée ne lui eût pas valu de si grands avantages. Tous ces succès étaient les avant-coureurs du détrônement du roi Auguste.

À peine le cardinal avait juré à son roi de ne rien entreprendre contre lui qu’il s’était rendu à l’assemblée de Varsovie, toujours sous le prétexte de la paix. Il arriva, ne parlant que de concorde et d’obéissance, mais accompagné de soldats levés dans ses terres. Enfin il leva le masque, et, le 14 février 1704, déclara, au nom de l’assemblée, Auguste, électeur de Saxe, inhabile à porter la couronne de Pologne. On y prononça d’une commune voix que le trône était vacant[2]. La volonté du roi de Suède, et par conséquent celle de cette diète, était de donner au prince Jacques Sobieski le trône du roi Jean, son père. Jacques Sobieski était alors à Breslau en

  1. On lisait encore : « L’honneur qu’avait la ville de Thorn d’avoir produit autrefois Copernic, le fondateur du vrai système du monde, ne lui servit de rien auprès d’un vainqueur trop peu instruit de ces matières, et qui ne savait encore récompenser que la valeur. La ville, etc. »
  2. Sur une observation de Nordberg, Voltaire corrigea encore ici une erreur.