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HISTOIRE DE CHARLES XII.


troupes qui portaient le nom de l’armée de la couronne, il alla pour la première fois chercher en personne le roi de Suède. Il le trouva bientôt qui s’avançait lui-même vers Cracovie.

Les deux rois parurent en présence le 13 juillet de cette année 1702, dans une vaste plaine auprès de Clissau, entre Varsovie et Cracovie. Auguste avait près de vingt-quatre mille hommes. Charles XII n’en avait que douze mille. Le combat commença par des décharges d’artillerie. À la première volée qui fut tirée par les Saxons, le duc de Holstein, qui commandait la cavalerie suédoise, jeune prince plein de courage et de vertu, reçut un coup de canon dans les reins. Le roi demanda s’il était mort ; on lui dit que oui ; il ne répondit rien. Quelques larmes tombèrent de ses yeux : il se cacha un moment le visage avec les mains ; puis tout à coup, poussant son cheval à toute bride, il s’élança au milieu des ennemis à la tête de ses gardes.

Le roi de Pologne fit tout ce qu’on devait attendre d’un prince qui combattait pour sa couronne. Il ramena lui-même trois fois ses troupes à la charge ; mais il ne combattait qu’avec ses Saxons ; les Polonais, qui formaient son aile droite, s’enfuirent tous dès le commencement de la bataille, les uns par terreur, les autres par mauvaise volonté. L’ascendant de Charles XII prévalut. Il remporta une victoire complète. Le camp ennemi, les drapeaux, l’artillerie, la caisse militaire d’Auguste, lui demeurèrent. Il ne s’arrêta pas sur le champ de bataille[1], et marcha droit à Cracovie, poursuivant le roi de Pologne, qui fuyait devant lui.

Les bourgeois de Cracovie furent assez hardis pour fermer leurs portes au vainqueur. Il les fit rompre ; la garnison n’osa tirer un seul coup : on la chassa à coups de fouet et de canne jusque dans le château, où le roi entra avec elle. Un seul officier d’artillerie osant se préparer à mettre le feu au canon, Charles court à lui, et lui arrache la mèche : le commandant se jette aux genoux du roi. Trois régiments suédois furent logés à discrétion chez les citoyens, et la ville taxée à une contribution de cent mille rixdales. Le comte de Steinbock, fait gouverneur de la ville, ayant ouï dire qu’on avait caché des trésors dans les tombeaux des rois de Pologne, qui sont à Cracovie dans l’église Saint-Nicolas, les fit ouvrir : on n’y trouva que des ornements d’or et d’argent qui appartenaient aux églises ; on en prit une partie, et Charles XII

  1. Il resta huit jours sur le champ de bataille, laissa ensuite tous les blessés au château de Pinczow, à une lieue de distance du champ de bataille, marcha ensuite à Cracovie, où il se cassa la jambe et resta le temps marque pour se guérir. (P.)