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CHAPITRE XLIV.


huissiers ordinaires ; là il fit rendre un arrêt par lequel le prince était condamné à subir tel châtiment qu’il plairait à Sa Majesté d’ordonner. Le parlement était sûr, sans doute, que le roi n’en ordonnerait aucun ; mais par l’énoncé il semblait que le roi fût en droit d’ordonner la peine de mort. Cependant l’équité naturelle et le respect pour le genre humain ne doivent laisser un tel pouvoir à personne, fût-ce à un Henri IV.

Heureusement il est très-faux que ce grand roi ait ajouté à sa faiblesse celle de vouloir, à son âge, faire la guerre pour arracher une jeune femme à son mari ; il n’était capable ni d’une si grande injustice ni d’un tel ridicule, Vittorio Siri l’en accuse ; mais cet Italien, attaché à Marie de Médicis, ne l’était pas à Henri IV[1]. Ce qui n’est que trop vrai, c’est que cette aventure nuisit beaucoup à sa réputation. Les restes de la Ligue, les factions italienne et espagnole qui dominaient dans le royaume, le décrièrent ; son économie nécessaire fut taxée d’avarice, sa prudence d’ingratitude, ses amours ne le firent pas estimer ; il ne fut point connu tant qu’il vécut, il le disait lui-même, et on ne l’aima qu’après sa mort déplorable.



CHAPITRE XLIV.
MEURTRE DE HENRI IV[2]. LE PARLEMENT DÉCLARÉ SA VEUVE RÉGENTE.

La France goûtait depuis la paix de Vervins une félicité qu’elle n’avait presque jamais connue. Les factions catholiques et pro-

  1. Henri IV s’était préparé depuis longtemps à cette guerre. Il voyait que si la maison d’Autriche réussissait dans le projet de s’emparer de tous les petits États d’Allemagne et d’Italie, la France, enclavée dans ce nouvel empire, serait exposée à devenir une de ses provinces. Il s’était déclaré le protecteur des princes de l’Italie et de l’Empire ; et il ne voulait pas souffrir que l’empereur s’emparât, sous le nom de séquestre, de l’héritage des ducs de Clèves et de Juliers. L’humeur que lui causa la fuite du prince de Condé à Bruxelles augmenta sans doute son ardeur contre les Espagnols, comme la résolution qu’il avait formée de déclarer la guerre à l’Espagne augmentait la colère que lui causait l’évasion du prince. Et si une guerre offensive, qui n’a pour objet que la sûreté présente d’une nation, peut être une guerre juste, celle que Henri IV entreprenait était légitime. Les petites passions des rois les trompent souvent, et peuvent leur faire adopter de mauvais plans de politique : elles attisent les guerres ; mais c’est la politique et l’ambition qui les allument. (K.)
  2. Voyez tome XII, page 559.