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CHAPITRE LXVII.


que le roi envoya à vingt-deux membres de la grand’chambre, qui siégeaient alors. Le président Hénault composa cette lettre, dans laquelle le roi demandait une vengeance éclatante. Ensuite le secrétaire d’État, comte de Saint-Florentin, envoya des lettres patentes le 15 janvier, signées Phelypeaux. Le 17, à dix heures de la nuit, on fit partir de Versailles, aux flambeaux, trois carrosses à quatre chevaux, escortés de soixante grenadiers du régiment des gardes, commandés par quatre lieutenants et huit sous-lieutenants. De nombreux détachements de maréchaussée précédaient la marche. On prit le chemin par Vaugirard. Une compagnie entière des gardes se joignit alors à l’escorte ; une compagnie suisse bordait les rues : on aurait pris cette entrée pour celle d’un ambassadeur. Les rues étaient bordées d’autres compagnies aux gardes ; le guet à pied et à cheval était partout disposé sur la route.

Il n’est pas vrai qu’on défendit aux citoyens de se mettre à la fenêtre sous peine de la vie. Ce mensonge absurde se trouve à la vérité dans les nouvelles publiques de ce temps. Ces nouvelles mercenaires sont toujours écrites par des gens à qui leur obscurité ne permet pas d’être bien informés.

Pendant que le roi remettait ainsi à la grand’chambre non complète le jugement de Damiens, il n’en exilait pas moins seize des conseillers qui avaient donné leur démission ; on leur fit même l’affront de les faire garder par les archers du guet dans leurs maisons jusqu’au moment de leur départ pour leur exil, depuis le 27 janvier jusqu’au 30. La grand’chambre fit des remontrances qui ne furent point écoutées ; elle abandonna le reste de son corps : cette chambre fut alors uniquement occupée du devoir d’instruire le procès de Damiens, sur lequel tout Paris faisait les conjectures les plus atroces et les plus contradictoires.

Le tour des ministres pour être exilés ne tarda pas d’arriver. Louis XV avait exilé plusieurs de ceux qui le servaient et qui l’approchaient. C’était ainsi qu’il avait traité le duc de La Rochefoucauld, grand-maître de la garde-robe, le plus honnête homme de la cour ; le duc de Châtillon, gouverneur de son fils ; le comte de Maurepas, le plus ancien de ses ministres ; le garde des sceaux Chauvelin, qui a toujours conservé de la réputation dans l’Europe ; tout le parlement de Paris, et un très-grand nombre d’autres magistrats, des évêques, des abbés, et des hommes de tout état.

La marquise de Pompadour, qui avait fait renvoyer le comte de Maurepas, fit renvoyer de même le garde des sceaux Machault et le comte d’Argenson. On pardonne plus aisément une injure