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ATTENTAT DE DAMIENS.


Damiens écrivit aussi le nom de Mazy, premier président de la même chambre ; il ajouta : et presque tous. Au bas de cette liste, il écrivit : « Il faut qu’il remette son parlement, et qu’il le soutienne, avec promesse de ne rien faire aux ci-dessus et compagnie », et signa son nom.

Il dicta à l’exempt Belot une lettre assez longue au roi, dans laquelle il y avait ces mots essentiels : « Si vous ne prenez pas le parti de votre peuple, avant qu’il soit quelques années d’ici vous et monsieur le dauphin, et quelques autres, périront. Il serait fâcheux qu’un aussi bon prince, par la trop grande bonté qu’il a pour les ecclésiastiques, dont il accorde toute sa confiance, ne soit pas sûr de sa vie ; et si vous n’avez pas la bonté pour votre peuple d’ordonner qu’on lui accorde les sacrements à l’article de la mort... votre vie n’est pas en sûreté. L’archevêque de Paris est la cause de tout le trouble, etc. »

Cette lettre[1], signée du criminel, ayant été portée au roi, et ensuite remise au greffe de la prévôté, quelques personnes de la cour furent d’avis qu’on assignât, au moins pour être ouïs, les magistrats du parlement nommés par Damiens. Elles prétendaient que cette démarche pourrait ôter au corps entier un crédit qui gênait trop souvent la cour. Le ministère était alors partagé entre le comte d’Argenson et le garde des sceaux Machault, ennemis déclarés l’un de l’autre. Le comte d’Argenson était ouvertement brouillé avec la marquise de Pompadour ; le garde des sceaux était sa créature et son conseil ; sans se réconcilier, ils s’accordèrent pour la faire renvoyer de la cour ; ils prétendaient soulever toute la nation contre elle par le moyen du parlement, dont les familles, tenant à toutes les familles de Paris, formaient aisément la voix publique. Comme on n’était pas encore bien sûr que le couteau ne fût point empoisonné, on crut ou l’on fit croire que le roi était dans un très-grand danger, et que dans la crise où s’allait trouver le royaume, il fallait renvoyer cette dame et charger le parlement du procès de Damiens, Le roi accorda l’un et l’autre. Le garde des sceaux alla dire à Mme  de Pompadour qu’il fallait partir. Elle s’y résolut d’abord, n’ayant pu voir le roi, et se croyant perdue ; mais elle se rassura bientôt. Le premier chirurgien déclara que la blessure n’était pas dangereuse ; et l’on ne fut plus occupé que du châtiment qu’exigeait un si étrange attentat.

Le comte d’Argenson fut chargé lui-même de minuter la lettre

  1. Elle fait partie d’une des notes du chapitre XXXVII du Précis du Siècle de Louis XV.