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CHAPITRE XXXIX.

DISPUTES SUR LES CÉRÉMONIES CHINOISES. COMMENT CES QUERELLES CONTRIBUÈRENT À FAIRE PROSCRIRE LE CHRISTIANISME À LA CHINE.


Ce n’était pas assez, pour l’inquiétude de notre esprit, que nous disputassions au bout de dix-sept cents ans sur des points de notre religion, il fallut encore que celle des Chinois entrât dans nos querelles. Cette dispute ne produisit pas de grands mouvements, mais elle caractérisa plus qu’aucune autre cet esprit actif, contentieux et querelleur, qui règne dans nos climats.

Le jésuite Matthieu Ricci, sur la fin du xviie siècle[1], avait été un des premiers missionnaires de la Chine. Les Chinois étaient et sont encore, en philosophie et en littérature, à peu près ce que nous étions il y a deux cents ans. Le respect pour leurs anciens maîtres leur prescrit des bornes qu’ils n’osent passer. Le progrès dans les sciences est l’ouvrage du temps et de la hardiesse de l’esprit : mais la morale et la police étant plus aisées à comprendre que les sciences, et s’étant perfectionnées chez eux quand les autres arts ne l’étaient pas encore, il est arrivé que les Chinois, demeurés depuis plus de deux mille ans à tous les termes où ils étaient parvenus, sont restés médiocres dans les sciences, et le premier peuple de la terre dans la morale et dans la police, comme le plus ancien.

Après Ricci, beaucoup d’autres jésuites pénétrèrent dans ce vaste empire ; et, à la faveur des sciences de l’Europe, ils parvinrent à jeter secrètement quelques semences de la religion chrétienne parmi les enfants du peuple, qu’ils instruisirent comme ils purent. Des dominicains, qui partageaient la mission, accusèrent les jésuites de permettre l’idolâtrie en prêchant le christianisme. La question était délicate, ainsi que la conduite qu’il fallait tenir à la Chine.

Les lois et la tranquillité de ce grand empire sont fondées sur le droit le plus naturel ensemble et le plus sacré : le respect des enfants pour leurs pères. À ce respect ils joignent celui qu’ils

  1. Matthieu Ricci est mort au commencement du xviie siècle (le 11 mai 1610) ; mais ce fut sur la fin du xvie, en 1583, qu’il s’établit en Chine. (B.)