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semblable en cela seul à l’évêque d’Avranches Huet, l’un des plus savants hommes de l’Europe, qui, sur la fin de ses jours, reconnut la vanité de la plupart des sciences, et celle de l’esprit humain[1]. L’archevêque de Cambrai (qui le croirait !) parodia ainsi un air de Lulli :

Jeune, j’étais trop sage,
Je voulais trop savoir :
Je ne veux en partage[2]
Que badinage,
Et touche au dernier âge
Sans rien prévoir.

Il fit ces vers en présence de son neveu, le marquis de Fénelon, depuis ambassadeur à la Haye. C’est de lui que je les tiens[3]. Je garantis la certitude de ce fait. Il serait peu important par lui-même, s’il ne prouvait à quel point nous voyons souvent avec des

  1. Dans son Traité de la faiblesse de l’esprit humain.
  2. Le texte de Fénelon porte :
    Je n’ai plus en partage. (B.)
  3. Ces vers se trouvent dans les poésies de Mme Guyon ; mais le neveu de M. l’archevêque de Cambrai m’ayant assuré plus d’une fois qu’ils étaient de son oncle et qu’il les lui avait entendu réciter le jour même qu’il les avait faits, on a dû restituer ces vers à leur véritable auteur. Ils ont été imprimés dans cinquante exemplaires de l’édition du Telémaque, faite par les soins du marquis de Fénelon en Hollande, et supprimés dans les aulrcs exemplaires.

    Je suis obligé de répéter ici que j’ai entre les mains une lettre de Ramsay, élève de M. de Fénelon, dans laquelle il me dit : « S’il était né en Angleterre, il aurait développé son génie et donné l’essor à ses principes, qu’on n’a jamais bien connus. »

    L’auteur du Dictionnaire historique, littéraire et critique, à Avignon, 1759, dit, à l’article Fénelon, « qu’il était artificieux, souple, flatteur, et dissimulé ». Il se fonde, pour flétrir ainsi sa mémoire, sur un libelle de l’abbé Phélypeaux, ennemi de ce grand homme. Ensuite il assure que l’archevêque de Cambrai était un pauvre théologien, parce qu’il n’était pas janséniste. Nous sommes inondés depuis peu de dictionnaires qui sont des libelles diffamatoires. Jamais la littérature n’a été si déshonorée, ni la vérité si attaquée. Le même auteur nie que M. Ramsay m’ait écrit la lettre dont je parle, et il le nie avec une grossièreté insultante, quoiqu’il ait tiré une grande partie de ses articles du Siècle de Louis XIV. Les plagiaires jansénistes ne sont pas polis : moi, qui ne suis ni quiétiste, ni janséniste, ni moliniste, je n’ai autre chose à lui répondre, sinon que j’ai la lettre. Voici les propres paroles : « Were he born in a free country, he would bave display’d bis whole genius, and given a full career to his own principles never known. » (Note de Voltaire.) — Les vers que Voltaire cite sont tout bonnement le second couplet d’un cantique sur la simplicité de l’enfance chrétienne. On a trompé Voltaire. (G. A.) — Le Dictionnaire historique, etc., dont parle Voltaire, est celui de Barrai et Guibaud ; voyez tome XIV, page 24, et dans le Dictionnaire philosophique le mot Dictionnaire.