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tira un plus beau triomphe de sa défaite. Il se soumit sans restriction et sans réserve. Il monta lui-même en chaire à Cambrai pour condamner son propre livre. Il empêcha ses amis de le défendre. Cet exemple unique de la docilité d’un savant, qui pouvait se faire un grand parti par la persécution même, cette candeur ou ce grand art lui gagnèrent tous les cœurs, et firent presque haïr celui qui avait remporté la victoire. Fénelon vécut toujours depuis dans son diocèse en digne archevêque, en homme de lettres. La douceur de ses mœurs, répandue dans sa conversation comme dans ses écrits, lui fit des amis tendres de tous ceux qui le virent. La persécution et son Télémaque lui attirèrent la vénération de l’Europe. Les Anglais surtout, qui firent la guerre dans son diocèse, s’empressaient à lui témoigner leur respect. Le duc de Marlborough prenait soin qu’on épargnât ses terres. Il fut toujours cher au duc de Bourgogne, qu’il avait élevé ; et il aurait eu part au gouvernement si ce prince eût vécu[1].

Dans sa retraite philosophique et honorable, on voyait combien il était difficile de se détacher d’une cour telle que celle de Louis XIV : car il y en a d’autres que plusieurs hommes célèbres ont quittées sans les regretter. Il en parlait toujours avec un goût et un intérêt qui perçaient au travers de sa résignation. Plusieurs écrits de philosophie, de théologie, de belles-lettres, furent le fruit de cette retraite. Le duc d’Orléans, depuis régent du royaume, le consulta sur des points épineux qui intéressent tous les hommes, et auxquels peu d’hommes pensent. Il demandait si l’on pouvait démontrer l’existence d’un Dieu, si ce Dieu veut un culte, quel est le culte qu’il approuve, si on peut l’offenser en choisissant mal. Il faisait beaucoup de questions de cette nature, en philosophe qui cherchait à s’instruire, et l’archevêque répondait en philosophe et en théologien.

Après avoir été vaincu sur les disputes de l’école, il eût été peut-être plus convenable qu’il ne se mêlât point des querelles du jansénisme ; cependant il y entra. Le cardinal de Noailles avait pris contre lui autrefois le parti du plus fort ; l’archevêque de Cambrai en usa de même. Il espéra qu’il reviendrait à la cour, et qu’il y serait consulté, tant l’esprit humain a de peine à se détacher des affaires quand une fois elles ont servi d’aliment à son inquiétude. Ses désirs cependant étaient modérés comme ses écrits ; et même sur la fin de sa vie il méprisa enfin toutes les disputes :

  1. Pendant la campagne que le duc de Bourgogne fit en Flandre, il ne vit Fénelon qu’une fois, et en public. (K.)