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M. de Meaux avait son grand nom et l’adhésion des principaux prélats de France. Il porta au roi les signatures de plusieurs évêques et d’un grand nombre de docteurs, qui tous s’élevaient contre le livre des Maximes des Saints.

Telle était l’autorité de Bossuet que le P. de La Chaise n’osa soutenir l’archevêque de Cambrai auprès du roi son pénitent, et que Mme  de Maintenon abandonna absolument son ami. Le roi écrivit au pape Innocent XII qu’on lui avait déféré le livre de l’archevêque de Cambrai comme un ouvrage pernicieux, qu’il l’avait fait remettre aux mains du nonce, et qu’il pressait Sa Sainteté de juger.

On prétendait, on disait même publiquement à Rome, et c’est un bruit qui a encore des partisans, que l’archevêque de Cambrai n’était ainsi persécuté que parce qu’il s’était opposé à la déclaration du mariage secret du roi et de Mme  de Maintenon. Les inventeurs d’anecdotes prétendaient que cette dame avait engagé le P. de La Chaise à presser le roi de la reconnaître pour reine : que le jésuite avait adroitement remis cette commission hasardeuse à l’abbé de Fénelon, et que ce précepteur des enfants de France avait préféré l’honneur de la France et de ses disciples à sa fortune ; qu’il s’était jeté aux pieds de Louis XIV pour prévenir un éclat dont la bizarrerie lui ferait plus de tort dans la postérité qu’il n’en recueillerait de douceurs pendant sa vie[1].

Il est très-vrai que Fénelon, ayant continué l’éducation du duc de Bourgogne depuis sa nomination à l’archevêché de Cambrai, le roi, dans cet intervalle, avait entendu parler confusément de ses liaisons avec Mme  Guyon et avec Mme  de La Maisonfort. Il crut d’ailleurs qu’il inspirait au duc de Bourgogne des maximes un peu austères, et des principes de gouvernement et de morale qui pouvaient peut-être devenir un jour une censure indirecte de cet air de grandeur, de cette avidité de gloire, de ces guerres légèrement entreprises, de ce goût pour les fêtes et pour les plaisirs, qui avaient caractérisé son règne.

Il voulut avoir une conversation avec le nouvel archevêque sur ses principes de politique. Fénelon, plein de ses idées, laissa entrevoir au roi une partie des maximes qu’il développa ensuite dans les endroits du Télémaque où il traite du gouvernement ;

  1. Ce conte se retrouve dans l’Histoire de Louis XIV, imprimée à Avignon. Ceux qui ont approché de ce monarque et de Mme  de Maintenon savent à quel point tout cela est éloigné de la vérité. (Note de Voltaire.) — C’est de l’ouvrage de Reboulet que parle Voltaire ; voyez, tome XIV, la note 1 de la page 466.